Le Premier ministre entend empêcher indéfiniment la création d'un Etat palestinien
De sa longue carrière politique, Ariel Sharon entend, à 76 ans, léguer à Israël un élément fondamental : l'impossibilité pour les Palestiniens de créer un Etat indépendant sur la majeure partie de la Cisjordanie où les colonies israéliennes pourront se développer dans de vastes secteurs annexés de fait. Ce seront des zones de sécurité d'où il sera possible de contrôler les populations palestiniennes vivant sur le reste de ce territoire.
C'est ainsi qu'il faut lire la récente interview de Dov Weisglass, ex-chef de cabinet, conseiller et avocat du Premier ministre au quotidien Haaretz. Il confirme que l'évacuation des implantations de Gaza et du nord de la Cisjordanie a pour but d'empêcher indéfiniment la création d'un Etat palestinien et cela avec l'accord de Washington. C'est une nouvelle étape du projet d'Ariel Sharon visant à changer la réalité du conflit avec les Palestiniens et qu'il a commencé à appliquer dés son élection à la présidence du Conseil en février 2001. Le plan avait été préparé en détail par le général de réserve Meir Dagan ¬ à l'époque, son conseiller pour les affaires de sécurité. Il prévoyait dans le détail la neutralisation d'Arafat, «un assassin avec qui on ne négocie pas», et la destruction de l'accord d'Oslo, «le plus grand malheur qui se soit abattu sur Israël». Une opération d'intensité croissante visait à isoler progressivement le président palestinien tant sur le plan intérieur que diplomatique.
Durant les deux premières années de l'Intifada, l'armée israélienne a presque systématiquement riposté aux grands attentats commis par le Hamas en attaquant des cibles de l'autorité palestinienne et du Fatah. Leur chef, Yasser Arafat, n'a jamais réalisé le piège dans lequel il se précipitait en refusant, par crainte d'une guerre civile en Palestine, de donner l'ordre à ses services de sécurité d'arrêter les chefs islamistes à Gaza. Ce n'est que le 27 mars 2002, après l'attentat-suicide commis par un terroriste du Hamas et faisant vingt-neuf morts israéliens à Netanyah le soir de la Pâque juive, qu'Arafat a appelé son chef de la sécurité à Gaza pour lui donner le feu vert. «Trop tard, a répondu Mohammed Dahlan, les Israéliens vont passer à l'attaque.» Quarante-huit heures plus tard commençait l'opération «Rempart». Elle était dirigée contre l'Autorité autonome issue des accords d'Oslo. Depuis, Arafat est assigné à résidence dans les ruines de la Mouqata, son QG à Ramallah. Cohérence et franchise sont deux qualités dont Ariel Sharon et son équipe ne sont pas dépourvus.
En fait, la seule nouveauté dans les déclarations de monsieur Weisglass concerne le soutien, sans précédent, accordé par les Etats-Unis à la politique israélienne. Mais, là aussi, on ne saurait être surpris. Une partie de l'administration Bush est acquise aux thèses de monsieur Sharon. A la Maison Blanche et au Pentagone, la plupart des hommes en place ont toujours exprimé des opinions très critiques de la politique de concession des travaillistes israéliens. Au Conseil national de sécurité par exemple, Elliot Abrams est chargé du dossier Proche-Orient. Dès 1993, il a déclaré son opposition au processus d'Oslo. Au Pentagone, le sous-secrétaire à la Défense chargé des affaires politiques, Douglas Feith, est proche du mouvement des implantations. Dans ces conditions, Dov Weisglass n'a probablement pas eu beaucoup de difficultés à convaincre ses interlocuteurs américains. Pour les colons, c'est autre chose. Ils refusent ses explications, à savoir que le retrait des colonies de Gaza et de quatre autres situées dans le nord de la Cisjordanie leur permettra de conserver le reste ad vitam æternam. Leur réveil est dur : Sharon, qui fut leur parrain et principal bienfaiteur, n'a jamais accepté l'idéologie du Grand Israël ou du mouvement messianique. Dans sa vision sécuritaire, la terre n'est pas sacrée et peut faire l'objet de concessions à des fins stratégiques.
Dans ses déclarations à Haaretz, monsieur Weisglass se vante d'avoir «effectivement conclu avec les Américains qu'on ne discutera jamais d'une partie des colonies. Quant au reste, on en parlera lorsque les Palestiniens deviendront des Finlandais...». C'est-à-dire lorsqu'ils auront un comportement occidental, européen, démocratique, non violent et doux, du moins selon la vision du monde scandinave du conseiller d'Ariel Sharon. Il sait que la société palestinienne ne prend pas le chemin de l'européanisation. Elle subit une véritable tragédie humanitaire et se développe dans un environnement de plus en plus répressif. Dans la bande de Gaza, près de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté de 2 dollars par personne et par jour. Selon les Nations unies, quarante-cinq Palestiniens sont tués chaque mois dans ce territoire (pour deux tiers des combattants). Au cours des quatre dernières années, 25 000 Palestiniens ont perdu leur logis, détruit par l'armée israélienne.
Tout cela signifie une pérennisation du conflit qui restera, en l'absence de toute possibilité de compromis, le principal élément déstabilisateur du Proche-Orient et des relations intercommunautaires en Europe. Pour éviter de nouvelles catastrophes, il faudrait, affirme Michel Barnier, le ministre français des Affaires étrangères, que le retrait de Gaza réussisse et soit coordonné avec les Palestiniens dans le cadre de la fameuse «feuille de route destinée au règlement permanent du conflit israélo-palestinien sur la base de deux Etats» du quartet. Pour les diplomates européens et américains, ce plan de paix est toujours d'actualité, comme le répète Ariel Sharon mais en ajoutant : «Il faudra d'abord que les Palestiniens cessent le terrorisme !» Et deviennent finlandais ?
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