Préparant un documentaire sur le processus de paix, j'ai été le témoin privilégié des négociations israélo-palestiniennes depuis le mois de septembre 1999. Des dirigeants, des négociateurs, des médiateurs ont accepté de témoigner en temps réel devant ma caméra, avant et après chaque rencontre importante officielle ou secrète. La seule condition était que ces confidences ne soient pas diffusées avant la fin de l'an 2001. Mais, face aux inexactitudes, aux arguments de propagande, aux mensonges publiés au sujet de ces pourparlers, j'estime devoir apporter mon témoignage sans enfreindre la promesse de secret faite à mes interlocuteurs.
L'accord était possible. Il n'a pas été conclu en raison d'erreurs stratégiques et tactiques commises par les deux parties. Pendant dix-huit mois, l'abîme de méfiance qui existait entre les leaders a hypothéqué le processus de paix pour, finalement, le mener à l'échec. Craignant de perdre la face dans le cas où Arafat lui ferait une promesse personnelle pour ensuite la renier, Barak a limité au minimum ses contacts avec le chef de l'OLP et n'a jamais participé directement aux négociations. A Camp David, les Palestiniens ont fini par demander à Bill Clinton et Madeleine Albright pourquoi Barak refusait de rencontrer Arafat le soir pour faire le bilan de la journée et prendre des décisions. Les Américains ont répondu: «Le Premier ministre ne travaille pas ainsi!» Durant les quinze jours de ce sommet, les deux hommes n'ont pas eu une seule discussion sur le fond. Les autres rencontres entre Arafat et Barak n'ont porté que sur des généralités et la logistique du processus de paix.
Le retour à la technique des négociations parallèles, secrètes, a encore avivé la suspicion du président palestinien. Déjà, pendant près de trois ans, Benyamin Netanyahou l'avait utilisé pour temporiser, tout en faisant croire que les pourparlers avançaient. Arafat, leader arabe de la génération des Nasser, Hussein et Hassan II, voulait être traité comme tel. C'est avec lui que les accords devaient être finalisés, personne d'autre.
Le 28 juillet 1999, lors de leur première rencontre après son élection, le nouveau Premier ministre israélien expliquait au président palestinien qu'il voulait passer directement aux pourparlers sur le statut définitif. Arafat, lui, voulait, avant toute chose, l'application des accords intérimaires suspendue huit mois plus tôt par Benyamin Netanyahou. Ses conseillers expliquaient à leurs interlocuteurs israéliens que la situation sur le terrain se détériorait, tant au plan économique et social que politique. La popularité de l'Autorité autonome était en chute libre. Le moindre incident risquait de dégénérer. Des émeutes avaient eu lieu en janvier et en février 1999 à Khan Younes et à Rafah. Les manifestations de colère se multipliaient en Cisjordanie contre la police et les fonctionnaires palestiniens, contre les Israéliens. En février 2000, à l'université de Bir Zeit, Lionel Jospin en fera les frais. L'intifada couvait. Il y avait urgence.
Ehud Barak l'a compris trop tard. Endormi par les rapports rassurants de ses renseignements militaires pour qui la situation sur le terrain n'était pas inquiétante, il était surtout préoccupé par l'instabilité de sa coalition gouvernementale, persuadé qu'il ne parviendrait pas à faire accepter par sa majorité parlementaire l'application des derniers articles de l'accord intérimaire: le transfert de nouveaux territoires à l'Autorité autonome, la libération de centaines de prisonniers du Fatah encore emprisonnés en Israël. Pour rétablir la confiance de la rue palestinienne envers sa politique de paix, Arafat avait besoin de tels gestes de la part d'Israël. Conseillé par les Américains, Barak a tenté d'amadouer le chef de l'OLP en lui promettant, en février 2000, Anata, une petite localité située à l'est de Jérusalem. Le chantage des ministres religieux a fait annuler cette concession. En avril, il récidivait, décidait un retrait de 12 % de la Cisjordanie avec en prime cinq faubourgs arabes de Jérusalem-Est, mais renonçait un mois plus tard. Pendant ce temps, la construction dans les implantations se poursuivait sans discontinuer. Barak esquivait des votes de censure au Parlement. Pour Arafat, il manquait à sa parole.
Durant toute l'année écoulée, les négociateurs israéliens et palestiniens m'ont régulièrement cité le manque de communication personnelle entre leurs leaders comme un de leurs principaux handicaps. Malgré cela, ils ont réalisé des progrès. A Taba, en janvier, jamais l'accord n'a été aussi proche.
Sur le droit au retour des réfugiés palestiniens. C'est une insulte à l'intelligence d'imaginer, comme l'affirme une certaine propagande, que les dirigeants palestiniens croyaient possible de conclure un accord de paix comportant le retour en Israël de trois millions sept cent mille réfugiés. La vérité est qu'ils ne pouvaient accepter de renoncer à cette revendication historique de l'OLP qu'en échange d'un Etat palestinien viable sur la quasi-totalité de la Cisjordanie et de Gaza, avec pour capitale la partie arabe de Jérusalem.
C'était là le compromis historique que Yasser Arafat aurait pu présenter à son peuple qui compte 60 % de réfugiés. L'appel à la nouvelle génération de Palestiniens aurait été: «Abandonnez votre rêve irréalisable, ne cherchez pas à devenir israéliens mais venez construire votre pays.» Car les réfugiés auraient eu quatre possibilités: recevoir des compensations financières pour s'installer soit dans le nouvel Etat de Palestine, soit là où ils se trouvent actuellement ou encore dans un autre pays qui les accepterait ou, enfin, en Israël, selon les lois de l'Etat hébreu, c'est-à-dire en recevant la nationalité israélienne et selon un programme de réunification des familles dont le nombre exact était à négocier. Les négociateurs palestiniens ont posé en premier le problème grave des réfugiés au Liban et suggéré un quota de dizaines de milliers de personnes autorisées à revenir dans un délai de plusieurs années. Les pourparlers sont allés dans cette direction, tournant autour des formules de préambule à l'accord.
Il manquait du temps pour aboutir car, sur les autres volets de la négociation, pour la première fois Israéliens et Palestiniens sont tombés d'accord sur le concept de base permettant d'aboutir à la solution du problème territorial posé par le maintien en Cisjordanie de blocs d'implantation juives. Le principe était de réduire le plus possible le territoire annexé par Israël autour de ces colonies et donc de laisser un maximum de villages palestiniens sous la souveraineté palestinienne. Le résultat, selon la carte proposée par les émissaires de Yasser Arafat, était un Etat palestinien viable qui ne serait pas coupé en deux ou trois cantons comme le suggéraient les cartes présentées jusqu'alors par les négociateurs israéliens. Seuls 3 à 4 % auraient été annexées par Israël. C'est seulement lors de cette rencontre, moins de dix jours avant les élections israéliennes, que les Palestiniens ont pour la première fois présenté leur proposition de règlement du problème territorial. Leurs interlocuteurs israéliens ont amèrement regretté qu'ils ne l'aient pas fait beaucoup plus tôt.
Sur la question de Jérusalem-Est, les deux parties ont fini par accepter le principe de base défini par les propositions de Bill Clinton: les quartiers arabes seraient sous la souveraineté palestinienne et les quartiers juifs sous souveraineté israélienne. C'était une concession majeure de la part des Palestiniens qui acceptaient ainsi les nouveaux quartiers juifs construits sur des territoires annexés après la guerre de 1967. La ville resterait réunifiée, les secteurs arabes étant administrés par les Palestiniens. Par manque de temps, les détails n'ont pas été négociés. La continuité territoriale entre les divers quartiers enclavés, les patrouilles de police mixtes israélo-palestiniennes... Une formule de compromis a été discutée au sujet du statut du Haram El Sharif, l'esplanade des Mosquées, le troisième lieu saint de l'Islam qui est aussi le Mont du Temple, le principal lieu saint du judaïsme. Pour des raisons politiques, elle ne peut être révélée actuellement.
La dernière rencontre secrète entre le Palestinien Saeb Erekat et l'Israélien Gilaad Sher a eu lieu le 31 janvier 2001. Ils ont tenté de préparer un ultime sommet entre Arafat et Barak qui, peut-être, aurait changé le cours de l'histoire. Mais les jeux étaient faits, l'élection d'Ariel Sharon, six jours plus tard, ne faisait plus de doute. Il ne reste plus qu'à classer les procès verbaux de Taba en attendant des temps meilleurs.