« À la CFDT, nous sommes tout à fait prêts à vous transmettre les documents qui justifient la manière dont nous utilisons l’argent de la formation. Nous sommes très transparents là dessus. »
Ces propos sont tenus par le responsable de la communication de la grande organisation syndicale quelques jours avant le diffusion du numéro de Cash Investigation sur les détournements de l’argent de la formation professionnelle.
Nous avions sollicité la CFDT de longue date pour obtenir ces documents. En fait, nous avions fait cette demande à toutes les grandes organisations syndicales et patronales plusieurs mois auparavant. Pour cela, nous nous sommes adressés au Fongefor (Fond de gestion de la formation professionnelle), une association présidée par le Medef et où sont représentés ce dernier, la CGPME, l’UPA côté patronal et la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC et la CGT côté syndical.
Le Fongefor reçoit chaque année 0,75% de la taxe «formation professionnelle» prélevée sur les entreprises. Cela représente environ 30 millions d’euros par an. Elle les redistribue ensuite aux organisations syndicales et patronales (regardez donc la répartition). Que font ces dernières avec cet argent ?
Jusqu’au coup de fil de la CFDT, nous n’avions eu aucune réponse à notre demande. Elle était pourtant légitime.
Le levier d’une politique publique d’intérêt général
Cet argent provient d’un impôt. Il s’agit d’un prélèvement sur les entreprises définit par le Code Général des Impôts au chapitre «Taxes diverses» de la manière suivante :
« Chaque employeur doit concourir au développement de la formation professionnelle continue en faveur de son personnel ou de demandeurs d'emploi. Des actions de formation sont donc financées par le versement d'une participation annuelle calculée sur le total des rémunérations des salariés de l'entreprise. »
Ces fonds sont le levier d’une politique publique d’intérêt général destinée à la formation des français, qu’ils soient employés ou sans-emploi. Ils sont sous la surveillance de la Cour des Comptes et relèvent du droit public. Les citoyens (salariés, chômeurs, ou chefs d’entreprise) ont donc le droit de savoir à quoi ils servent (vous avez aussi le droit de savoir qui finance la formation professionnelle)
La CFDT serait donc la seule organisation à vouloir jouer la transparence sur ce sujet. Bonne nouvelle ! Son responsable de la communication affirme que le syndicat était prêt à nous transmettre les documents dès le départ. Il aurait donné la consigne au Fongefor mais ce dernier l’aurait volontairement ignoré, sans doute car le sujet dérange.
La CFDT nous transmet alors plusieurs documents. Ce sont les comptes rendus de l’utilisation de ces fonds par le syndicat au niveau national, dans ses unions régionales et certaines fédérations.
Ces éléments sont ceux transmis à l’administration (la Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle, DGEFP) pour s’assurer que cet argent est bien utilisé pour des actions relatives à la formation professionnelle.
Or leur lecture ne permet pas de le vérifier. Les sommes dépensées ne sont pas, ici, justifiées par des actions concrètes mais au titre de postes de dépenses peu précis et très larges. Par exemple, «Initiatives nécessaires à la mise en oeuvre des accords», «Rémunération», ou encore «déplacement et réception» et même... «achats de matières premières et autres combustibles» ?!?.
763.000 euros pour les rémunérations au niveau national
Ainsi, au niveau national, une partie des salaires de l’organisation est prise en charge par l’argent de la formation à hauteur de 763.000 euros. La somme n’est pas négligeable. Il s’agit selon la CFDT d’un pourcentage du temps affecté par les salariés à des sujets de formation professionnelle «sur la base des informations du bilan social».
Rien de très précis donc et qui puisse permettre un contrôle efficace de l’utilisation de ce montant. Néanmoins, selon le syndicat, ces 763.000 euros ne représenteraient que 3,8 % de l’ensemble des salaires au niveau national. Ces derniers s'élèveraient à 20 millions d’euros par an (pour 284 employés).
Dans ces documents, des sommes sont également rangées sous le titre «publicité, relations publiques, publications», sans plus de précisions.
Ainsi pour l’Union régionale «Pays de la Loire», 1 659,50 euros ont été utilisés en 2012 pour «Publicité, publications, relations publiques».
Pour la CFDT, «Communication, Conseil, Culture», 3 875 euros ont été utilisé au même motif en 2012. 4 547 euros l’année précédente.
Pour l’Union régionale «Champagne Ardenne», la somme de 9 235 euros est inscrite face à ce titre de dépense.
Au niveau national, ce sont 24.967 euros qui sont ainsi justifiés. La CFDT précise que cela inclus un abonnement à deux sites Internet consacrés à la formation. Il paraît cependant évident que cela ne peut pas justifier l’intégralité de cette somme.
Autre constat, le montant de l’argent de la formation affecté par les unions de la CFDT aux rémunérations de ses membres varie beaucoup en fonction des régions.
Ainsi, si l’union régionale de Lorraine utilise 27.884 euros au titre «salaires et traitements», celle du Pays de la Loire dépense 84.252 euros d’argent de la formation pour le même motif. Presque 3 trois fois plus.
«Les contreparties de ce financement ne sont pas assez visibles»
On aurait aimé pouvoir vous montrer ces documents. Mais alors que nous nous apprêtons à les publier sur ce site, la CFDT change d’avis. L’organisation préfère que les comptes rendus relatifs à ses unions régionales et à ses fédérations restent confidentiels.
Voici les arguments avancés officiellement par le responsable de la communication du syndicat :
« Nous ne voulons pas que notre effort de transparence soit utilisé contre nous », se défend-t-il.
Mais comment ces documents peuvent-ils être utilisé contre la CFDT si l’organisation n’a rien à se reprocher ?
« Des personnes malhonnêtes écrivent des livres sur les syndicats et elles risquent d’utiliser ces chiffres contre nous. Nous ne préférons pas qu’ils soient en ligne. »
Le syndicat voudrait créer la suspicion, il ne s’y prendrait pas autrement !
La grande opération «transparence» promise par la CFDT sur l’argent de la formation a accouché d’une souris. Elle se réduit au document très succinct ci dessous.
Voilà qui illustre bien les propos de Claude Thélot, conseiller maître à la Cour des comptes. En 2007 déjà, il estimait que « dans l'état actuel des choses, la partie de la collecte affectée au financement des organisations patronales et syndicales est trop opaque, au sens où les contreparties de ce financement ne sont pas assez visibles. Nous sommes collectivement coupables de ne pas rendre le financement des organisations patronales et syndicales plus intelligible et plus transparent ».