Pierre Cahuc est économiste. Il est professeur à l’École polytechnique et membre du Conseil d’analyse économique. Il a participé à l’élaboration du rapport de l’Institut Montaigne "Formation professionnelle : pour en finir avec les réformes inabouties". Dans le cadre de notre enquête, nous l'avons interviewé.
Qu’avez-vous découvert en vous penchant sur le système français de la formation professionnelle ?
Pierre Cahuc : C'est un système extrêmement complexe dans lequel il y a un enchevêtrement d’organismes privés, les régions, le service public de l'emploi, l'État, des organismes avec des noms inconnus comme les OPCA, les organismes paritaires collecteurs agréés (Organismes gérés par les partenaires sociaux qui collectent l’argent de la formation auprès des entreprises - ndlr). Tous ces organismes de formation forment un univers extrêmement complexe dans lequel il est difficile de se retrouver, de savoir qui paie quoi, qui peut en profiter et dans quelles circonstances. Tout cela est extrêmement opaque et très difficile à comprendre.
Comment est-on arrivé à une telle complexité ?
PC : Par réformes successives. À chaque fois qu'il y a une réforme, on rajoute un organisme, on donne de nouvelles attributions à de nouvelles institutions. Par exemple, en 2004, ce sont les régions qui ont eu en charge la formation des demandeurs d'emploi via un mouvement de décentralisation. Donc peu à peu, au fur et à mesure des réformes, on a rajouté des couches. Le problème, c'est qu'à chaque fois que l'on rajoute des couches, on donne des ressources à des institutions, des collectivités locales qui sont animées par des groupes de personnes. Ensuite, elles utilisent ces ressources, elles sont investies d'une mission. Il est alors difficile de changer, de revenir en arrière. Souvent ces personnes sont attachées à ces missions. Il est très difficile de supprimer les couches successives qui ont été ajoutées.
Cela veut dire qu'une partie importante de l'argent prévu pour aider à former des salariés ou des chômeurs permet de payer de multiples organismes qui s'occupent de la formation ?
PC : Oui. Si l’on parle de l'argent collecté par les OPCA, à peu près 9% passe dans les frais de gestion. C’est énorme car la collecte représente plus de 6 milliards d'euros par an soit pratiquement le montant du RSA. Par comparaison, les frais de gestion pour la collecte de la taxe d'apprentissage vont de 1% à 3%. Outre cet argent, il y a 1,5% qui est collecté pour financer les syndicats patronaux et salariés.
Seulement 13% des fonds de la formation bénéficient aux demandeurs d’emploi, comment l’expliquez-vous ?
PC : Car aujourd'hui les formations des chômeurs sont sous la responsabilité des régions. C'est la source du problème : dans ce système de formation professionnelle, il y a plusieurs pilotes et quand il y a trop de pilotes, il n'y a plus de pilote. Donc on a énormément de mal à construire des parcours. On se rend compte que l'argent va beaucoup vers les cadres, les personnes très formées. Résultat : on a cet argent qui est utilisé par les personnes qualifiées et on n'arrive pas à l'utiliser pour les chômeurs et les personnes qui en auraient le plus besoin.
Les dérives du système de la formation sont dénoncées depuis des années, notamment par la Cour des comptes et, malgré tout, les problèmes persistent. Comment l’expliquez-vous ?
PC : Première raison : il y a d'énormes mannes financières en jeu. Or, il est très compliqué de faire des réformes lorsqu'il y a des masses financières importantes qui bénéficient à certains groupes. Deuxième raison : la formation professionnelle sert à financer en grande partie le paritarisme, c'est-à-dire les organisations salariales et patronales. Comme je vous le disais, il y a 1,5% de l'argent collecté par les OPCA qui sert à financer de droit les organisations salariales et patronales. Cela fait à peu près 90 millions d'euros par an. Les organismes paritaires agréés sont gérés par les partenaires sociaux. Ces derniers siègent dans les conseils d'administration et emploient souvent des personnes elles-mêmes syndiquées qui font à la fois un travail de syndicaliste et de gestionnaire ou de salariés travaillant dans l'OPCA. Donc les frontières sont floues. Et tout cela donne effectivement des ressources importantes aux syndicats ou aux organisations patronales qui sont très attachés à ces ressources. Pour beaucoup d'organisations syndicales ou patronales, les ressources tirées des OPCA sont plus importantes que les ressources tirées des cotisations de leurs adhérents.