Tchétchénie : le retour d'un tableau volé pendant la guerre

Serguei Podstanisky  est un collectionneur averti qui fréquente régulièrement l’un des musées les plus réputés de Moscou, la Galerie Tretiakov. Lors de sa visite d’une exposition inaugurée le 17 octobre, un tableau attire son attention. Il s’agit du « Portrait d’E. M Tatevossian dans un habit bédouin ». Il estime immédiatement qu’il fait partie du musée de Grozny, détruit pendant la guerre de Tchétchénie. Il l’écrit dans un post sur Facebook qui va déclencher une petite tempête dans le monde de l’Art.

Alexandre Golovine « Portrait d’E.M Tatevossian dans un habit bédoin. » Photo : Sergueï Podstanisky/Facebook

Comment le tableau est-il sorti des collections du musée de Grozny ?

C’est la revue russe « The Art Newspaper », qui a repéré en premier le post du collectionneur. L’historienne de l’art Sophia Bagdassarova, autrice de cet article, a rappelé que les vols de tableaux étaient fréquents en temps de guerre. Celle qui a eu lieu en Tchétchénie durant les années 1990 n’a pas fait exception. Ainsi, « au moment de la guerre, à Grozny beaucoup de choses ont été perdues », a-t-elle expliqué à France télévisions. En effet, après la destruction du bâtiment du musée en décembre 1994, le sauvetage des œuvres entrepris dès 1995 n’a permis d’extraire qu’une petite partie des collections, le reste ayant été détruit ou pillé.

C’est pourquoi Milana Khadtchoukaeva, historienne de l’art directrice du service des beaux-arts du Musée national de Tchétchénie rappelait que chaque « retour d'œuvre perdue durant la guerre à Grozny représente un événement important pour la République de Tchétchénie ».

Quels éléments ont alerté le collectionneur ?  

« Non seulement le musée a été détruit mais également la documentation, c’est pourquoi même les spécialistes connaissent mal ce qui a été conservé », explique Serguei Podstanisky à France télévisions. Dans ce contexte, il n’est pas évident d’attester de la présence passée des œuvres dans les collections du musée de Tchétchénie. Pourtant, en visitant la nouvelle exposition de la galerie Trétiakov, le collectionneur s’est étonné de voir que le tableau appartenait à une collection privée. En effet, il se rappelait avoir vu un tableau très ressemblant dans un catalogue du musée de Grozny. Il a retrouvé cet ouvrage, dans lequel un tableau analogue était accompagné de la description suivante : « Golovine. Arabe. Etude. 56 х 46». L’enjeu était donc de déterminer s’il s’agissait de la même œuvre.

Comment l'identification du tableau a-t-elle été confirmée ?

Le tableau a été retiré de l’exposition afin d’être soumis à des expertises. Dans un premier temps, des recherches ont été opérées au niveau de la technique et dans les archives. Les photos prises par d’anciens habitants de Grozny ont également été utilisées. Enfin, la galerie Trétiakov a fait appel à Arbi Ousmanov, directeur du musée national de Tchétchénie pendant treize ans.

Qu’est devenu le tableau ?

Les études entreprises ayant confirmé l’intuition de Sergueï Podstanisky, la galerie Trétiakov et le propriétaire du tableau ont donné leur accord pour que ce dernier rejoigne les collections du musée de Grozny.

Le retour du tableau le 29 octobre dernier un événement rare. Une présentation officielle du tableau a eu lieu le 2 novembre dans le cadre de « la nuit de l’art ». Il est désormais possible d’admirer le portrait dans la partie de l’exposition permanente consacrée à « l’art russe et ouest-européen (XVII-XXIe siècle) » du musée.

En 2015 et 2016, deux tableaux du XIXe siècle perdus pendant la guerre sont également revenus dans les collections. Pour le musée de Grozny, « ces événements suscitent l’espoir qu’avec le temps, d’autres œuvres perdues reviendront ».

Publié par Bureau Moscou / Catégories : Non classé