La Russie jusqu'à présent avait échappé à la vague #metoo et #balancetonporc qui a submergé une bonne partie du monde. Il s'était même trouvé une actrice, au moment où l'affaire Weinstein a éclaté, pour dire que si une femme décrochait un rôle au cinéma après avoir couché avec un producteur on voyait mal de quoi elle se plaindrait. C'était donnant-donnant et chacun y trouvait son compte.
Mais tout a changé avec les accusations, d'abord anonymes puis à visage découvert, de trois journalistes. Elles dénoncent le harcèlement dont elles disent avoir été victimes de la part d'un député de la Douma, la chambre basse du parlement russe. Leonid Sloutski n'est pas n'importe quel député. Il est le président de la commission des affaires étrangères.
Farida Roustamova, de la BBC
Farida Roustamova est journaliste à la BBC. Le 24 mars 2017, elle a rendez-vous avec Leonid Sloutski pour l’interroger au sujet de la visite, ce jour là, de Marine Le Pen. Une fois dans le bureau du député la journaliste affirme qu’il aurait tenté de l’embrasser, puis lui aurait passé la main dans l’entrejambe. Avant qu’elle ne s’enfuie en pleurs. Elle dispose d’un enregistrement la conversation.
Leonid Sloutski reçoit Marine Le Pen à la Douma le 24 mars 2017
Avant elle, deux autres journalistes disent avoir subi des avances et des attouchements de Leonid Sloutski: Katerina Kotrikadze et Daria Jouk qui, toutes deux, travaillent pour des chaînes de télévision indépendantes diffusées sur internet.
Leonid Sloutski nie d'abord tout en bloc: Jamais, dit-il, aucune femme ne s’est plainte ni ne se plaindra d’un comportement incorrect de ma part.
Mireille Mathieu, la chanteuse française toujours très populaire en Russie, elle aussi, défend Leonid Sloutski. "Un homme charmant et très courtois" dit-elle.
Le président de la Douma y va de son communiqué: Celles qui craignent de travailler ici, dit-il en substance, peuvent aller travailler ailleurs.
Puis, pour la journée de la Femme, le 8 mars dernier, L. Sloutski publie sur son compte Facebook ce qui ressemble à début d’excuses:
"A celles d’entre vous à qui j’ai causé, volontairement ou involontairement, des soucis, je voudrais demander de me pardonner. Croyez-moi, je ne l’ai pas fait par méchanceté".
Sincèrement vôtre, Leonid Sloutski
Il est extrêmement rare dans ce pays que des femmes osent se évoquer ouvertement le harcèlement sexuel dont elles auraient été victimes. "C’est tellement fréquent, ces histoires, dit Irina, une jeune chanteuse de cabaret. Ca arrive à tellement de femmes. On sait très bien que personne ne va nous défendre". Natalia travaille dans un cabinet d'audit. Elle reprend: "D’abord ça ne se fait pas d’en parler. Et puis une femme qui travaille sait que de toutes façons elle a tout à perdre si elle porte plainte".
Les trois journalistes, elles, n'ont pas baissé les bras. Elles ont obtenu que le comité d'éthique de la Douma se réunisse, le 21 mars dernier, pour évoquer leurs accusations à l'encontre de Leonid Sloutski. Réunis à huis clos pendant un peu plus d’une heure les députés ne trouvent rien à reprocher à leur collègue. "Son comportement n'a rien eu de répréhensible", dit l'un d'entre eux. Ils laissent entendre que les plaintes de ces femmes étaient un coup monté pour lui causer du tort alors que la Russie était en pleine campagne électorale.
Raissa Karmazina, députée et membre du comité d'éthique,a ajouté: "J'étais à leur âge trois cent fois plus belle que ces journalistes et personne ne m'a jamais harcelée".
Leonid Sloutski a dû pousser un "ouf !" de soulagement quand le comité a rendu son verdict. Mais son répit pourrait bien être de courte durée. Une demi-douzaine de rédactions de médias russes, et pas des moindres, ont décidé de boycotter purement et simplement la Douma et de ne plus y envoyer de journalistes. Ni femmes, ni hommes. L'affaire prend une ampleur sans précédent.
Le site d'information indépendant Meduza demande à ses lecteurs de retweeter cette photo sur laquelle on peut lire: "Je pense que Sloutski doit quitter la Douma".
Alexeï Venediktov, le rédacteur en chef de la radio Echo de Moscou, espère à voix haute que Vladimir Poutine qui vient d'être réélu triomphalement s'exprimera sans tarder pour souligner la place des femmes dans la société russe. Il n’existe aucune loi en Russie contre le harcèlement sexuel.
Retrouvez notre reportage sur cette affaire dans la rubrique "Sans frontières" de Télématin.