La Commission rejette le projet d'acquisition d'Alstom par Siemens

Margrethe Vestager, Commissaire à la Concurrence

Mercredi 6 février, la Commission européenne a rejeté le projet de fusion entre l'entreprise française Alstom et l’allemande Siemens. ll s’agit d’une décision rare de la part de Commission qui n’a utilisé son droit de veto qu’une trentaine de fois sur des projets de fusion et en a accepté plus de 6 000. 

« Cette concentration aurait entrainé une hausse des prix pour les systèmes de signalisation qui assurent la sécurité des passagers et pour les futures générations de trains à très grande vitesse » a expliqué en conférence de presse la Commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager. Sur ces points les mesures correctives proposées par les deux entreprises ont été jugées insuffisantes. La fusion aurait entravé la concurrence sur le marché des systèmes de signalisation ferroviaire. Ces derniers sont essentiels pour prévenir les accidents et assurer la sécurité des passagers. Elle aurait aussi entrainé un recul de l'innovation pour les opérateurs ferroviaires et réduit le nombre de fournisseurs de matériel roulant à très grande vitesse.

Margrethe Vestager a également justifié cette décision au nom de la protection des consommateurs. Une augmentation des tarifs des trains aurait provoqué une hausse des prix des billets de trains.

Les autorités de la concurrence en Allemagne, en Angleterre, aux Pays-Bas, en Belgique et en Espagne avaient rendu des avis très défavorables sur ce projet. Une nouvelle qui devrait rassurer les syndicats belges et français d’Alstom qui redoutaient d’importantes suppressions de poste. 

Du côté français, cette décision a été critiqué de manière très virulente. « C’est une erreur économique » dénonce le ministre français de l'Economie Bruno Le Maire. Pour son homologue allemand, ce refus est aussi contestable. Les deux ministres craignent principalement la concurrence du géant chinois CRRC, numéro un mondial du ferroviaire. Un argument rejeté par la Commission. « Aucun fournisseur chinois n'a jusqu'ici participé à une offre publique en Europe pour vendre sa signalisation, ni fourni un train à très grande vitesse hors de Chine. Il n'y a aucune perspective de l'arrivée des Chinois sur le marché européen dans un futur proche » a déclaré la Commissaire danoise. 

Henri Poupart-Lafarge, le PDG du groupe français Alstom a également réagi : « il n'y a pas de nécessité aujourd’hui de replonger, du tout, dans un projet tel qu'avec Siemens » a-t-il déclaré. Au sujet de l'avenir du groupe, il souligne que « le concurrent CRRC reste là, la nécessité d'aller vers le digital reste là. Il faut que nous trouvions d'autres routes pour continuer notre expansion ». 

 

Ne tirez pas sur le pianiste

Edito de Pascal Verdeau

Comme en 14, l'union sacrée au sein de la classe politique française - à de rares exceptions près - s'est reconstituée rapidement. Haro sur la Commissaire Vestager, jugée trop dogmatique, trop libérale, trop rigide. Pour certains observateurs français, Vestager serait même une sorte de Maurice Gamelin, cet officier général français dont la stratégie face à l'ennemi reste synonyme de déroute. Le coup de pied de l'âne, dans le droit fil du "colbertisme à la française" est venu du Premier ministre : Edouard Philippe évoque une "mauvaise décision prise sur de mauvais fondements".

Ces fondements, ce sont en fait, les règles du droit de la concurrence édictées il y a longtemps dans le vieux monde et que la France semble redécouvrir aujourd'hui. De nombreux décideurs, y compris à Bruxelles souhaitent pourtant développer une vision dynamique, plutôt que statique de la concurrence. Paris et Berlin veulent d'ailleurs, pour alimenter le débat sur les européennes, faire des propositions en ce sens. Parmi les pistes envisagées par Bercy, la création d'un dispositif, qui permettrait à titre exceptionnel, de faire prévaloir "les intérêts généraux européens sur l'intérêt concurrentiel". Dans certains cas, comme la sécurité d'approvisionnement ou la défense de la souveraineté, les ministres pourraient passer outre à une décision de concentration, prise par la Commission de Bruxelles... Un beau thème de campagne pour les élections européennes, à condition toute fois, de ne pas tomber dans la caricature et de changer de méthode. Car le procédé, qui consiste à politiser les règles de la concurrence, à hurler au loup et à faire monter la température avant une décision concernant une entreprise privée (même un fleuron industriel) est voué à l'échec. A la Commission, une source haut placée affirme que Vestager a travaillé "sans préjugé idéologique et n'a fait preuve ni d'aménité, ni de complicité". La Commissaire danoise n'est pas hostile à une évolution de la doctrine de Bruxelles. Comment trouver le bon équilibre entre le maintien d'un marché ouvert et compétitif et la création de champions continentaux capables de booster l'innovation, sans léser le consommateur?

Dans ce débat fondamental, face à la montée en puissance de la Chine, chaque camp peut développer des arguments rationnels. Dans le ferroviaire, faut-il considérer l'Europe comme un marché encore pertinent? Ces questions, évacuées hier après le tir de barrage des dirigeants français à l'encontre de la Commission, vont se reposer très vite. Aujourd'hui, la petite musique distillée par Bruxelles ne plait pas aux politiques français et allemands. Ce n'est pas une raison suffisante pour sortir la Grosse Bertha et tirer sur le pianiste bruxellois.