Pour le 14 juillet, la plus célèbre statue belge est bleue-blanc-rouge. Avec baguette et béret ! Une pancarte n'oublie pas d'expliquer aux touristes le pourquoi du comment : c’est la fête nationale de la France. L'occasion de revenir sur les liens qui unissent les deux pays : intenses, profonds et complexes.
Belgium bashing
Au lendemain du 13 novembre, la France a besoin d'un coupable. En apprenant qu’une bonne partie des terroristes vient de Bruxelles, elle en trouve un. Des services secrets aux habitants de Molenbeek, les Belges encaissent tous les coups. L'ancien conseiller de Claude Guéant parle de « Belgikistan », un responsable à la DGSE affirme que « la Belgique n’est pas au niveau » et Eric Zemmour enfonce le clou à coup de chronique sur RTL où il martèle qu'au lieu « de bombarder Raqa, la France devrait plutôt bombarder Molenbeek »... Seul le journal The Economist rappelle que « oui, la Belgique est politiquement fracturée et vulnérable, un terreau idéal pour les terroristes. Mais le reste de l’Europe aussi ». Le Belgium bashing semble alors à la mode. Sur les réseaux sociaux et aux terrasses des cafés, on le dénonce ou on le pratique. Il a fallu attendre les attentats de Bruxelles et ce terrible sentiment de déjà-vu, pour que les deux pays enterrent la hache de guerre et que la France illumine la tour Eiffel aux couleurs du drapeau belge (noir-jaune-rouge) tout en inondant les réseaux sociaux de #JeSuisBelge.
Qui aime bien châtie bien
Et puis l'Euro est arrivé. C'était de nouveau chacun pour soi. À Bruxelles, les locaux et les expats français rêvent d'une finale France-Belgique. L'occasion de s'affronter pour de vrai, mais sur un sujet plus léger. Pour le quart de final, 150.000 belges ont déferlé dans la ville de Lille où avait lieu le match. De chaque côté de la frontière, l'événement a pris une ampleur médiatique inattendue. En France, le hashtag « #adopte un belge » a fleuri sur les réseaux sociaux, comme autant d'invitations par les Lillois à héberger leurs voisins.
Mais pour les Diables Rouges, le voyage s'est arrêté là. Et pas question par la suite de soutenir la France. C'était même une bonne occasion d'être contre elle. Au point qu'un éditorialiste de la Dernière Heure, l'un des principaux quotidiens belges, écrive au lendemain de la qualification de la France en demi-finale : « Chers compatriotes, l'heure est grave ! Vous devenez bien plus imbuvables que ces Français que vous détestez tant ». Le soir de la finale, c'est carrément la défaite des Français, plutôt que la victoire des Portugais, que l'on a fêté en Belgique.
Une petite polémique a même éclaté après qu'un ancien journaliste de la RTBF a twitté le message ci-dessous (retiré depuis lors) :
C'est un fait : dimanche soir, le malheur français a fait le bonheur belge. Probable que cette défaite de l'équipe de France ait été vécue comme une petite revanche pour ceux qui n'en peuvent plus de s'entendre raconter ces « blagues belges » si fameuses outre-Quiévrain et dont la particularité est justement de n'être pas drôle... Pourtant ce matin du 14 juillet, la presse belge n'a pas oublié de souhaiter une bonne fête aux Français et particulièrement aux 250.000 qui ont choisi de s'installer en Belgique.
Semblables mais différents
Mais d'où vient cette rivalité ? Pour le sociologue Claude Javeau la réponse est évidente : pour les Flamands, qui sont de moins en moins nombreux à parler français, la France est considérée comme n'importe quel autre pays étranger. En revanche pour les Wallons qui sont francophones, l'hexagone est comme le prolongement de la Belgique. « La frontière existe mais elle est en pointillés. Lorsque l'on passe d'un pays à un autre, on n'est pas complètement dépaysés ». Il y a donc selon lui « un rapport d'admiration et de méfiance» car « quand on entend les Français parler de nous avec des expressions comme ''les petits Belges'' ou ''nos amis belges'', on les trouve très arrogants ». De plus, la France a tendance à s'approprier les talents belges : « combien de personnes croient que Cécile de France ou Georges Simenon sont français ? » poursuit le sociologue. Alors le soir du 10 juillet, c’est naturellement du côté du Portugal que la plupart des Belges se sont rangés. Une victoire que Claude Javeau analyse comme celle du « petit sur le gros méchant ». Ils ont choisi David plutôt que Goliath.
Clawdia Prolongeau & Valery Lerouge