Sommet UE-Turquie : migrants contre adhésion ?

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Sentiment embarrassé à l’issue du sommet UE-Turquie qui s’est tenu dimanche à Bruxelles. On devait y parler de gestion des flux de migrants…on y a surtout discuté de l’adhésion de la Turquie.

Le ton était donné dès l’arrivée du Premier Ministre turc. Dans son introduction, Ahmet Davutoglu s’est félicité de l’organisation de ce sommet et n’a pas hésité à parler de « jour historique » devant servir à redynamiser le processus d’adhésion de la Turquie dans l’Union européenne. Son monologue n’a d’ailleurs eu presque exclusivement trait qu’à la question de l’intégration de la Turquie dans l’UE. Il y a annoncé, tout sourire, la tenue d’une réunion de ce type deux fois par an à partir de maintenant, affirmant que ce sommet suscitait des espoirs pour tous, même pour les nations voisines de la Turquie telles que la Syrie, la Palestine ou Israël. M. Davutoglu a également vanté les mérites de la démocratie turque et a montré un certain triomphalisme en évoquant la large victoire de son parti, l’AKP, aux dernières élections. Il n’a en revanche presque pas mentionné la question des réfugiés et des migrants, se contentant d’asséner que ce sommet n’avait pas pour unique objectif d’aborder ce sujet.

Rebelote après le Sommet qui a duré quatre heures. Il a cette fois annoncé l’ouverture du chapitre XVII de l’acquis communautaire lié aux questions économiques, et a évoqué « une destinée commune » ou « une grande famille » dont la Turquie veut faire partie.

Faut-il y voir une provocation des Turcs, en position de force dans ce dossier et qui peuvent se permettre un certain chantage en contrepartie d’un soutien à l’UE dans le traitement de la crise des réfugiés ? Ou cela relève-t-il d’une volonté des dirigeants de l’Union de ménager leur voisin, tout en ne s’engageant pas trop à l’avenir ? Le Premier Ministre turc a semblé boire du petit lait, quand les dirigeants européens s’empressaient de déclarer dans leur conférence de presse respective, qu’il n’était pas question d’accélérer le processus d’adhésion.

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Concernant les réfugiés et migrants, les avancées ont été modestes, voire inexistantes, par rapport à ce qui avait été envisagé lors du Conseil européen du 15 octobre dernier. Comme l’a rappelé M. Davutoglu, la Turquie accueille déjà plus de 2,2 millions de réfugiés, en majorité des Syriens, mais aussi des Irakiens, fuyant les atrocités de leur pays. Il est demandé à la Turquie de prendre en charge ces personnes, de renforcer ses contrôles aux frontières et d’intensifier sa lutte contre le passage de combattants européens en territoire syrien.

Pour ce faire, à l’instar de ce qui avait été décidé quelques semaines plus tôt, l’Union européenne va fournir « une première enveloppe de ressources supplémentaires de 3 milliards d’euros », montant de l’enveloppe qui sera réexaminé « en fonction de l’évolution de la situation ». Cette somme servira à « mettre de l’ordre dans les flux migratoires et contribuera à endiguer les migrations irrégulières » et aidera la Turquie qui a manifesté son intention « d’adopter immédiatement des mesures visant à continuer d’améliorer la situation socioéconomique des Syriens bénéficiant d’une protection temporaire ». Il n’y a donc aucune avancée notable par rapport au plan décidé le 15 octobre dernier, aucune mesure concrète ni précise n’étant abordée dans les conclusions. Il ne s’agit bien évidemment pas d’un chèque en blanc donné à la Turquie, mais les engagements pris sont extrêmement vagues et pourront donner lieu à des interprétations multiples, M. Davutoglu ayant même fait souligner qu’il n’était en pas en mesure de dire « si le nombre de migrants qui arrivent en Europe va diminuer, cela dépend trop de la situation en Syrie ». L’on peut donc exprimer une certaine déception et amertume sur ce point.

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Mais aux dires d’Ahmet Davutoglu, la question des réfugiés et des migrants n’était que subsidiaire lors de ce sommet, qui avait vraisemblablement pour objet principal la redynamisation des relations entre l’Union européenne et la Turquie ainsi que l’adhésion de cette dernière. Ce thème est d’ailleurs abordé dans les premiers points des conclusions, le traitement des réfugiés et l’endiguement des flux migratoires n’apparaissant qu’en second lieu. Il est désormais acquis que le chapitre 17 de l’acquis communautaire (ayant trait à la politique économique et monétaire) sera ouvert le 14 décembre 2015, à l’instar d’un certain nombre de chapitres dont l’examen devrait débuter au cours du premier semestre 2016. Il s’agit d’une reprise des négociations, au point mort depuis quelques années ; mais il est difficile de parler d’une adhésion prochaine ou d’évoquer un 29ème État membre de l’UE.

Quelques chapitres vont être ouverts, mais cela ne signifie pas qu’ils seront clos. 14 chapitres ont effectivement déjà été ouverts depuis 2005 et le lancement des négociations, et seul un est pour le moment clos (celui ayant trait à la science et à la recherche). Plusieurs années peuvent être nécessaires pour traiter certains chapitres. En outre, il n’est officiellement pas question d’ouvrir les chapitres 23 et 24, ayant notamment trait à l’appareil judiciaire, aux droits fondamentaux et aux libertés. Or, ces questions sont hautement problématiques, alors que Tharir Elçi, bâtonnier de Diyarbakir et célèbre militant de la cause kurde, a été assassiné samedi 28 novembre dans d’obscures circonstances. Il faudra également réussir à convaincre les opposants historiques à la décision, en premier lieu Chypre et la Grèce. Alexis Tsipras a d’ailleurs tweeté dimanche 29 novembre « Heureusement que nos pilotes ne sont pas aussi versatiles que les vôtres avec les Russes », en référence à l’avion abattu par l’armée turque quelques jours plus tôt.

Ce qui fait dire aux 28 que le processus d’adhésion suit normalement son cours. Comme l’a rappelé François Hollande après la réunion : « il n’y a pas de raison de l’accélérer ni de le ralentir ». Mais bon, on l’accélère quand même... Car le flux de migrants, lui, ne ralentit pas…

Lucas Tripoteau et Valéry Lerouge