Entre les plumes et les paillettes, le business très rentable du carnaval

Chaque année c’est la même rengaine. Sur les écrans de télé du monde entier, quelques plumes et paillettes qui s’agitent sur un fond de samba : le carnaval de Rio. Pourtant, derrière l’apparente décontraction, la plus grande fête populaire du pays est un business très rentable qui fait vivre l’économie d’une ville et ses habitants. 

Devant le Sambodrome, l’immense avenue où les grandes écoles de samba défilent pendant 4 soirs en cette fin février, difficile de se frayer un chemin au milieu des participants costumés, des touristes, et des centaines de petits vendeurs à la sauvette qui arborent l’avenue de la Sapucai, au centre de Rio. 

Le Sambodrome, un business lucratif

Marcueno, un homme d’une cinquantaine d’années, nous aborde. Il veut nous proposer des tickets dans deux secteurs, sorte d’ailes de l’avenue, à l’opposé l’un de l’autre. L’entrée ou la sortie du défilé. Percevant mon semblant d’intérêt, il me tend les tickets pour que je puisse les observer et n’hésite pas à me laisser, quelques instants, seule avec eux. Il part discuter avec ses collègues qui tiennent divers commerces.

Ces entrées, ils les récupèrent des écoles de samba qui en distribuent des centaines gratuitement pour permettre aux habitants des favelas d’assister au spectacle. Cette année, la mairie de Rio en a distribué 15 000. 200 reais la place, une quarantaine d’euros. Une affaire pour lui, et pour nous. Certaines places, dans les secteurs les plus prisés, ou dans les loges de luxe qui jalonnent l’avenue, peuvent coûter jusqu’à 3000 euros. Un business très lucratif qui rapporte de l’argent aux écoles, la plupart proche du trafic de drogue, ou du “jeu du Bicho” des paris illégaux au Brésil. 

Au son du rythme de l’école de samba de Salgueiro, dans les gradins du Secteur 3 nous nous installons à côté d’un groupe d’une quarantaine de personnes. Vêtus des couleurs respectives de leur école, ils acclament celle qui défile sous leurs yeux. Riche en messages politiques, c’est un des seuls moments où la culture de la favela est valorisée. Pas question pour Tom, arborant une casquette verte et rose de Mangueira, une des écoles les plus célèbres, d’en préférer une. Il tient à toutes les soutenir. Avec ses amis venant tous de favelas différentes, ils ont créé un groupe WhatsApp pour se retrouver ici. Depuis 20 ans, ils analysent chacune des performances et achètent leur place dès leur sortie, lorsque les prix sont les moins chers. Très prisé, le Sambodrome a ainsi vendu 61 000 places.

Une fête qui rapporte 800 millions d'euros

Pour les cariocas cette fête est une des plus importantes de l’année. Mais elle attire aussi des touristes. La mairie en a comptabilisé plus de 2 millions cette annéeLes hôtels de Rio étaient pour la majorité complets, affichant des taux d’occupation insolents de 96 à 100%. 

Malgré un investissement du ministère du tourisme de près de 2 millions d’euros pour mettre aux normes le Sambodrome, la mairie de Rio, et son maire évangélique Marcelo Crivella, ont drastiquement réduit le budget alloué à cette grande fête populaire. Une erreur de calcul pour cet ancien pasteur qui juge le carnaval immoral : l’évènement, qui dure une semaine officiellement… et 50 jours non officiels (impossible de recenser tous les orchestres de rue informels qui défilent), génère selon la mairie de Rio plus de 800 millions d’euros pour l’économie de la ville. La fondation Getulio Vargas spécialisée sur le développement socio-économique du Brésil, a d’ailleurs étudié la création d’emploi durant le carnaval. En 2018, ce sont près de 70 000 postes qui ont vu le jour générant plus de 36 millions d’euros d’impôts.

Une puissante économie informelle

Mais derrière l’addition officielle, le carnaval de Rio génère une multitude de revenus parallèles, informels. Selon l'Institut brésilien de géographie et statistiques, le nombre de travailleurs informels a augmenté en 2019. Ce sont plus de 38 millions de personnes qui travaillent dans l'informalité. A chaque angle de rue, femmes de ménage, ouvriers, restaurateurs et portiers se transforment le temps d’une saison en vendeurs ambulants de bières, d’eau, de hot dog ou de déguisements. Imaginez : pendant 8 jours la ville s'arrête, plus personne ne travaille, les bureaux, les magasins… tout ferme. Une ville morte et si vivante à la fois. 

Patron d’une entreprise de plats cuisinés, Roberton connait la liste des “blocos”, ces orchestres de rue qui envahissent la ville et drainent des milliers de “folioes”, fêtards. Je le rencontre assis sur la selle d’une charrette, sous la bruine, attendant que le bloco “Comuna que pariu” (la Commune qui a accouché, en référence à une injure brésilienne). Vivant dans la favela de Catete où il entrepose sa charrette, Roberton change de commerce pendant le Carnaval. Il vend des boissons. "3 por 10", 3 bières pour 10 reais, une rengaine qu’il dégaine, infatigable. Il emploie deux personnes. Marco, un Uruguayen qui rêve de rejoindre l’Espagne et Toprê, un Carioca qui espère percer dans le rap brésilien.

Pour Roberton, continuer à avoir une activité économique même pendant la plus grande fête de l’année est primordiale. Son chiffre d’affaire triple durant cette période et atteint presque 500 euros. Pour lui, une seule chose importe : offrir à son fils une vie meilleure. Il économise, ainsi, toute l’année pour lui payer les meilleures études possibles ainsi que des fêtes d’anniversaire digne de ce nom. Cette année, une nouvelle application fait fureur : Ame. Elle sélectionne des vendeurs de rue pour permettre aux clients de payer via carte bleue, en obtenant des réductions. Il n’a pas été sélectionné mais qu’importe, ça sera pour la prochaine fois. 

 

Les vendeurs ambulants du carnaval

Au Brésil, pendant le carnaval, les rues se remplissent de fêtards, abreuvés et nourris par une armée de vendeurs ambulants. Portrait de deux d'entre eux, à Rio de Janeiro :

Mathilde Bigeault