Personnel soignant épuisé, réduction inquiétante du nombre d’établissements, impératifs de rentabilité… La privatisation du système hospitalier allemand n'est pas sans conséquences pour les patients.
« Quand c'est vraiment plein ici, la porte ne s'ouvre même plus » relate dans le Spiegel Marko Böhm, chef des urgences à l’hôpital de la Charité à Berlin. Son service est souvent saturé par un nombre trop important de patients à prendre en charge avec des effectifs réduits.
Même son de cloche en région. La presse locale rapporte que dans le service pédiatrique de l’hôpital d'Aschaffenburg près de Francfort, 20 lits ont été supprimés avant Noël en raison du manque de personnel. « Très mécontent de la situation », le responsable se réjouit en revanche de « nouvelles embauches qui permettront d’augmenter le nombre de places disponibles pour les enfants malades » en ce début d’année.
Plus probant encore, le cas de l’hôpital universitaire de Giessen et Marburg (UKGM). Cet immense complexe a été racheté à la région Hesse en 2006 par la société privée Rhön-Klinikum, un géant allemand du secteur médical. Le Spiegel raconte que « beaucoup d’espoirs ont été placés dans cette privatisation ». Car l’arrivée de nouveau fonds devait permettre l’acquisition de matériel flambant neuf et le développement de techniques de soin novatrices. Mais tenu de maximiser ses rendements, le UKGM a fait des économies drastiques sur le personnel. Résultat : des soignants exténués, une réputation qui se dégrade… et un « déficit structurel » à hauteur de 20 millions d'euros selon le cabinet d’étude McKinsey.
Privatisations à répétition
La situation de l’UKGM n’est pas isolée. Le système hospitalier allemand connaît un vaste phénomène de privatisation amorcé dans les années 1990, après la réunification. Entre 2000 et 2016, l'Allemagne a perdu 30% de ses hôpitaux publics. Sur cette même période, le nombre de cliniques privées a augmenté de 45%. Une hausse spectaculaire, alimentée par l’appétit de grands trusts hospitaliers comme Rhön, Asklepios, Helios ou Sana. « Les gouvernements régionaux ont perçu la privatisation comme un outil efficace pour éviter d'importantes dépenses publiques consacrées aux soins de santé » explique une étude américaine. Selon les chercheurs, cette tendance allemande à la privatisation est l'une des plus fortes en Europe.
Devenus des entreprises, les hôpitaux se dotent d'un manager et doivent faire du chiffre. Au détriment de certains patients. Une enquête journalistique menée par de la télévision locale du Nord de l’Allemagne (NDR) assure que « les cliniques privilégient certains malades plus rentables que d'autres. » Un cas de diabète serait par exemple moins « intéressant » qu'une opération du cœur. Des dérives niées par les hôpitaux en question. Dans ce contexte, le personnel soignant qui représente presque 70% du coût de fonctionnement total en moyenne, est réduit au minimum. Pour le syndicat « Ver.di », ces coupes sont « compensées par beaucoup d'heures supplémentaires et par l'absence de pauses » ce qui engendre « une surveillance moins importante de l'état des malades. »
Moins d'hôpitaux, plus de patients
Des malades, dont le nombre grimpe en flèche. En 2017 en Allemagne, il y a eu 19,5 millions de cas traités, contre 17,3 millions en 2000. Le nombre d'hôpitaux quant à lui chute : -15% en une vingtaine d'années. Conscient du manque cruel d'effectif dans tout le pays, le gouvernement allemand vient de faire voter une loi. Elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Au total 13 000 postes supplémentaires de personnel soignant doivent être créés dans les 16 Länder. Une avancée certes mais modeste. Selon le syndicat « Ver.di », 80 000 embauches de personnel médical seraient nécessaires.
Par Chloé Cosson