Quand la culture underground se déplace dans les quartiers chics de Berlin   

Kimo, du goupe d'artistes de street art "The Dixons"

Rien ne faisait tache dans le quartier de Charlottenburg quand le 68, Nürnberger Strasse était occupé par une banque. The Dixons, un groupe d’artistes de street art sont venus bousculer ce quartier tranquille. En attendant les nouveaux travaux pour transformer cette banque en logements, le lieu se métamorphose en galerie d’art, intitulée The Haus. Un lieu éphémère – signature du street art – qui sera démoli en août prochain.

Un immeuble de 5 étages investi par 165 artistes tous aussi créatifs les uns que les autres. On y voit de tout, des tags, des installations, mais aussi des photos, des films... en noir et blanc ou en couleur chaque pièce nous plonge dans une ambiance différente, cinq étages pour voyager dans l’imaginaire des street artists.

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La confrontation de tous les styles

L’idée est partie du groupe The Dixons, composé de Kimo, Jörni et Bolle. Kimo explique : "nous avons reçu cette offre de projet d’un bon ami, et notre première idée a bien-sûr été d’appeler tous nos amis et de tout transformer en un musée du street art à Berlin".

Berlin, ville du street art et de la culture underground, c’est bien connu… mais pas n’importe où. Kreuzberg, Friedrichshain ou Prenzlauerberg, trois quartiers situés à l’est de la ville, sont plus connus pour être les centres de gravité de la culture populaire. Mais le quartier de Charlottenburg est beaucoup plus bourgeois et cela se voit dès la file d'attente pour entrer dans The Haus.

Le pari est réussi : tous sont intéressés par cet art détonnant. Les visiteurs de tous âges et styles se côtoient et s’émerveillent devant les mêmes œuvres. « Le quartier était pour nous très intéressant, ajoute Kimo, parce que normalement le street art ne se trouve pas sur le Ku'damm », chic boulevard de Berlin. « Nous avons bien-sûr voulu saisir cette chance de faire connaître le street art dans un autre quartier, à d’autres personnes » se réjouit-il. The Haus joue aussi le jeu en invitant ses voisins de palier pour l'ouverture : des séniors et retraités, tous très enthousiasmés par ce projet.

L’objectif est ainsi de changer les mentalités sur le street art. Ce n’est pas un art de jeunes inconscients qui taguent tout sur leur passage. C’est un art qui peut avoir des codes, être structuré et qui respecte son environnement. Tous les artistes ont travaillé avec beaucoup de professionnalisme pour défaire leur mauvaise réputation : rien n’est cassé, aucun vandalisme. Tout reste intact à Charlottenburg, la folie artistique reste cloisonnée entre les quatre murs de l’ancienne banque.

Escaliers de l'ancienne banque, un peu plus décorée

Escaliers de l'ancienne banque, un peu plus décorée

Une œuvre collective... vouée à disparaître

L’idée d’un tel projet est aussi de faire un musée du street art pour en présenter son évolution. « Ce n’est plus un art des années 80 et 90. Nous sommes en 2017 », insiste Kimo. Les street artists utilisent aujourd’hui beaucoup plus de matériaux, des photos, de la craie... Une des œuvres utilise même des lunettes à réalité virtuelle. Ce qui est aussi intéressant c’est le « travail tridimensionnel » que permet cette maison.

Chaque œuvre utilise un maximum de l’espace qui lui est offert pour nous projeter dans l’imaginaire de l’artiste. Certains réutilisent la moquette des anciens bureaux pour en faire des installations. Ria Juliane Wank, surtout spécialisée dans les décors et costumes, a réalisé quatre pièces continues du second étage. On entre dans une première pièce sombre qui nous mène à une seconde salle, pleine de franges partant du plafond. On ne voit rien, on ne sait pas où on va, on est perdu. S’en suit enfin un dédale entre deux pièces dans une forêt enchantée illuminée de petits éléments fluorescents sur fond noir. L’expérience est unique et il y en a une centaine d’autres dans tout l’immeuble. C’est un « voyage visuel », explique Ria, « un voyage entre le calme et le démesuré où l’on se perd dans le noir entre les étoffes ».

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Salle 202, par le collectif "Drink and Draw" dont Ria fait partie

Ria se réjouit aussi de toutes les rencontres qu’elle a effectuées pendant ses quatre semaines de travail. "J’ai eu la chance de rencontrer différents artistes et j’espère que l’on pourra créer quelque chose dans l’avenir ". C’était le but de Kimo, à une échelle plus humaine. Faire une œuvre collective : "nous voulons montrer à travers ce projet que l’on peut faire de grandes choses quand on travaille ensemble. Et le résultat est génial parce que l’énergie de la maison est très forte, grâce à la volonté de chaque artiste de donner le meilleur de soi-même".

Salle 206, réalisée par "Kaleido" avec des fils phosphorescents

Salle 206, réalisée par "Kaleido" avec des fils fluorescents

Salle 208, réalisée par "Superbadboys"

Salle 208, réalisée par "Superbadboys"

 

Les amateurs d'art ont jusqu'au fin mai pour visiter cette Haus éphémère, avant que les bulldozers entrent en scène et que le bâtiment disparaisse.

 

Par Sibylle Aoudjhane