La Première Guerre mondiale fit de lui un héros aux yeux de la Nation. La Seconde Guerre sera son tombeau après que Darnand eut été l’artisan d’une collaboration poussée à l’extrême. Une série passionnante en BD de Fabien Bedouel et Patrice Perna.
Qu’est-ce qu’un héros ? La question a fait les titres et les Unes des journaux après l’hommage national rendu à Arnaud Beltrame, ce gendarme qui a échangé sa vie contre celle d’une otage. En librairie, quelques semaines avant l’attentat de Trèbes, Darnand, le bourreau français du scénariste Patrice Perna et du dessinateur Fabien Bedouel, éclaire le parcours de Joseph Darnand qui fut célébré comme un héros avant de se perdre dans l’horreur d’une collaboration sanglante.
Le premier tome de cette série prévue en trois albums revient précisément sur le parcours exceptionnel de Darnand pendant le Grande Guerre. Celui du héros, « artisan de notre victoire finale ». Promu, décoré et célébré notamment pour avoir fait prisonnier un état-major allemand et dérobé des plans d’attaque. Joseph Darnand est un « beau brave » peut-on lire dans la citation qui accompagne la croix de la Légion d’honneur qui lui sera remise en 1927 aux Invalides.
Après, ça va se gâter. Et dans les dernières pages du premier opus L’artisan de la victoire, on pressent que la trajectoire va suivre une courbe dangereuse. Par télescopage entre l’actualité et l’Histoire, André Comte-Sponville, dans les pages débats du Monde daté du 27 mars consacrées à l'attentat de Trèbes, nous éclaire aussi d’une certaine manière sur le destin de Joseph Darnand. L’article intitulé « Arnaud Beltrame, ce héros » remet le courage à sa place. Le philosophe écrit que cette vertu « peut servir au pire tout autant qu’au meilleur ». Darnand le beau brave a été incontestablement courageux. Il a sauvé de nombreuses vies. Ce courage, l’Histoire nous le dira, il va s’en servir aussi pour le pire avec sa Milice et son engagement dans la Waffen-SS.
Le récit de Patrice Perna ne prétend pas être une rigoureuse biographie du collabo. Néanmoins, il reprend avec précision tous les passages de son existence qui ont forgé le personnage. Les amateurs de voitures et motos connaissent cet auteur qui a repris Joe Bar Team et a créé la série humoristique Tuning Maniacs. Il a depuis élargi avec talent son catalogue par des albums plus historiques comme Forçats et Kersten, médecin d’Himmler qu’il a déjà réalisés avec Fabien Bedouel. De son côté le dessinateur s’est fait remarquer avec une série réussie d’aventures historiques L’Or et le sang. Un univers qui fait écho à Darnand. On y retrouve son trait réaliste et le dynamisme de son dessin. Et l’histoire de personnages cabossés par la vie et la guerre qui débute aussi dans les tranchées de 14-18.
L’Obs du 29 mars a fait sa une avec la question « Qu’est-ce qu’un héros ? ». L’historien Pascal Ory y précise qu’ « il faut se détacher des figures et ne considérer que les valeurs. Après, comme on disait en 1968, choisis ton camp, camarade ». Joseph Darnand a choisi le mal et le mauvais. Une suite à découvrir dans les deux prochains tomes de Darnand, le bourreau français à paraître en septembre 2018 puis janvier 2019 ou comment le héros va se transformer en salaud.
Darnand, T1 Le bourreau français. Bedouel & Perna / Editions Rue de Sèvres. 15 euros.