La Belgique vient d’être envahie par l’Allemagne nazie. Dans L'espoir malgré tout, Spirou assiste avec Fantasio à la déroute des démocraties. Avec humour et pour tous les publics, Emile Bravo signe une BD sur l’engagement où le personnage principal n’est peut-être plus le groom.
Les bruits de bottes résonnent dans la capitale belge. On le voit, on l’entend presque sur la couverture de L'espoir malgré tout dessinée par Emile Bravo. Le jeune groom apparaît en arrière-plan entre deux colonnes de soldats d’une Allemagne victorieuse. Petite silhouette confrontée à une histoire qui avance aux fracas des canons et au déferlement des haines. « Spirou est un héros humaniste, avance l’auteur qui a réalisé scénario et dessin, dans cette histoire, il est encore un enfant. Il refuse de se battre car il ne veut pas tuer. Spirou a un humanisme qui va s’exprimer comme une résistance du quotidien, au-delà des religions ».
"Sans Hitler et Mussolini, tu n'existerais pas"
Et c’est certainement dans l’enfance de l’auteur qu’il faut chercher la genèse de cet album. « Quand j’avais dix ans, mon père, antifranquiste réfugié en France et marié à une Française, m’a dit une phrase qui ne m’a pas quitté depuis. Il m’a dit : Souviens-toi que sans Hitler et Mussolini, tu n’existerais pas. C’est terrible, ça veut dire que le pire fait partie de nous. Comment cette inhumanité m’a généré, nous a généré, nous qui vivons aujourd’hui ? », raconte Emile Bravo qui se sert de cet album pour confronter les héros au réel. Spirou mais aussi Fantasio versus une société qui va basculer vers l’horreur. Face à l’adversité qui se pointe, comment vont-ils réagir ?
Un héros de Camus
Le Spirou d’Emile Bravo me fait penser à un personnage de Camus. Et par une phrase aussi, coïncidence, attribuée au père du philosophe et romancier. « Un homme, ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme ou sinon… », écrit Albert Camus dans Le premier homme. Face à la violence et aux idées folles, Spirou va s’empêcher. Il ne va pas croire ce que certains lui disent du « Juif ». Il ne va pas user des armes. Il se refuse aussi à penser que tous les Allemands sont des nazis… Emile Bravo dit de son personnage qu’il n’endosse pas la fonction de figure héroïque. De fait, si, Spirou va se comporter comme un héros en trouvant le bien alors que tout pousse au mal.
Fantasio collabo ?
Le précédent album de Spirou d’Emile Bravo, Le journal d’un ingénu, publié en 2008 se déroule juste avant-guerre. A son sujet, le dessinateur expliquait déjà : « Ce sont des périodes tellement noires où il n’y avait pas d’un côté les bons, et de l’autre, les méchants : tout était mélangé ». Spirou fait, lui, très bien le tri, trop facilement. Fantasio est moins à l’aise. Et c’est précisément ce point qui me fait préférer le personnage de Fantasio à celui de Spirou dans cette aventure. Reporter sans emploi, Fantasio va trouver dans la presse collaborationniste la revanche d’un déclassement qu’il vivait mal. Sans pour autant adhérer aux idéaux totalitaires. Il est chahuté dans une période qui bouscule. De quel côté va-t-il basculer ?
Une histoire d'amour traumatisante
Fantasio a, en quelque sorte, par ses faiblesses et ses doutes, plus d’humanité que le personnage de Spirou. Le groom lui ne dévie pas du rail de ce qu’il faut faire. Fantasio nous renvoie à cette question que nous, génération d'après, nous nous sommes tous un jour posée : Qui aurais-je été pendant la seconde guerre mondiale ? Ce héros, ce collabo ou juste ce témoin passif parmi tant d'autres ? A la fin du premier tome de cette série prévue en quatre opus, Fantasio s’engage vers le pire. On a hâte de découvrir la suite concernant ce « grand échalas » comme le décrit Emile Bravo qui confie que « dans cette aventure, Fantasio sera marqué par la guerre, va connaître une histoire d’amour traumatisante et apprendre l’empathie. Une évolution causée par la guerre ». Sans Hitler et Mussolini, Fantasio lui aussi ne serait pas ce qu’il est devenu.
Spirou, L'espoir malgré tout. Emile Bravo / Editions Dupuis. 16,50 euros.