RISQUES/ Certitudes et pistes de travail du Préfet

Les services de l’Etat sont au travail, pour assumer leurs missions de prévention des risques et de gestion de crise. Ils élaborent des plans et les expérimentent pour gagner en efficacité, si un évènement survient. Quoiqu’il en soit, c’est à chaque Guadeloupéen, à chaque Saint-Martinois et à chaque Saint-Barth de se préparer au pire, pour réduire au maximum l’impact des phénomènes naturels.

Entretien « Alerte Guadeloupe », avec Philippe GUSTIN, Préfet de la région Guadeloupe, représentant de l'Etat dans les collectivités de St-Barthélemy et St-Martin, depuis le 9 mai 2018 et délégué interministériel pour la reconstruction de Saint-Barthélemy et de Saint‑Martin, depuis le 14 septembre 2017.

(Interview complète, réalisée par Nadine FADEL, dont vous trouverez des extraits sur la plateforme numérique "Alerte Guadeloupe")

Alerte Guadeloupe : Que retiendrez-vous de votre mission dans les îles du Nord, assumée juste après le passage d’Irma ?

Philippe GUSTIN : Je pense qu’il faut déjà replacer cela dans son contexte. De mémoire d’homme, Irma est l’ouragan le plus fort enregistré, dans la zone. Un ouragan de catégorie 5, avec des vents dont on a estimé que certains avoisinaient les 375 km/h. Ça a naturellement un impact terrible. Je garderai toujours en mémoire mes premiers instants, à Saint-Martin : une vision d’apocalypse, la nature complètement anéantie, etc. Ce qu’il faut retenir de tout cela, c’est d’abord que l’Homme est vulnérable et la nature gagne toujours. Mais pour autant, si l’Homme est un peu intelligent, il peut se préparer. Et c’est ça, vraiment, le maître mot. Et, donc, ce que je ressens – et l’expérience Saint-Martinoise me l’a prouvé – c’est qu’alors que nous sommes sur des territoires où les habitants sont bien conscients des risques, puisqu’ils les ont connus, la « culture du risque » s’émousse, avec le temps. Et on oublie ce que nos anciens faisaient de manière régulière. On perd le bon sens. Aujourd’hui, à l’aune d’évènements comme ceux que nous avons vécu en septembre 2017 avec Irma ou Maria, il est bon de se rappeler des choses simples. Si on se prépare, on peut faire face plus facilement.

« La nature gagnera toujours, mais si on se prépare, on peut faire face plus facilement aux risques naturels. »
 Philippe GUSTIN, Préfet de la région Guadeloupe, Délégué interministériel pour la reconstruction de Saint-Barthélemy et de Saint‑Martin

A.G. : Qu’est-ce que cela veut dire, se préparer ?

P.G. : Sur le long terme, ne pas construire n’importe où, ni n’importe comment. Cela veut dire, sur le court terme, puisque l’on sait que, chaque année, la saison cyclonique va arriver, se préparer avec des choses basiques : s’assurer que l’on a suffisamment d’eau, suffisamment de nourriture, calfeutrer sa maison, refixer les tôles sur son toit, faire attention que rien de traîne dans l’environnement de sa maison, rien qui puisse devenir un projectile… Des choses tellement basiques, qu’à Saint-Martin, on les a oubliées. On aurait pu éviter bon nombre de dégâts si, en particulier, on avait un urbanisme un peu moins fou, si aussi on s’était préparé de manière bien plus sérieuse à la survenance d’un cyclone. Mais personne ne pouvait imaginer un tel phénomène. Ça doit interroger, aussi, sur comment on se prépare à subir, peut-être, une attaque de la nature, avec des vents de 500 km/h, ou plus. Ce sont de vraies questions existentielles : comment allons-nos vivre, sur nos territoires, face à des risques qui pourraient être – moi j’en ai le sentiment, avec les dérèglements climatiques – soit plus fréquents, soit plus forts.

A.G. : Et, quand l’évènement survient, même si les autorités veillent au grain, chacun, au sein de la population, doit savoir quoi faire.

P.G. : Absolument. Il en va de la responsabilité de chacun. La gestion d’une crise c’est, certes, un Etat qui prend la main, avec les collectivités locales (les communes), mais derrière il y a la responsabilité de chacun. Chacun doit se comporter correctement pendant la crise, respecter les consignes de sécurité. Il faut aussi avoir les bons réflexes et être vigilant par rapport à ce qui pourrait se passer, connaître et faire les bons gestes. Malheureusement on observe, à chaque évènement majeur, un peu d’inconscience, ou encore un peu de panique.

Un autre enseignement d’Irma : je pense qu’on doit avoir un traitement particulier, pour les gens qui ne sont pas nés, qui n’ont pas grandi sur le territoire, qui arrivent ici en pensant que c’est le paradis. On ne leur a jamais expliqué que, de temps en temps, ça peut devenir un enfer. Idem pour les touristes qui doivent être en alerte. Leur logique n’est pas la même. J’en ai vu qui n’avaient rien dans leur frigo, parce qu’ils fonctionnent au jour le jour. Certains ne pensaient pas qu’il fallait fermer et fixer les volets, parce qu’habituellement ça tient, par temps de pluie et quand il y a du vent.

A.G. : Comment raviver la culture du risque ?

P.G. : Il y a un vrai travail à faire et je vais m’y atteler, en Guadeloupe, avec l’ensemble des acteurs… notamment les écoles. Je suis persuadé que les enfants sont un vecteur vraiment important de cette culture du risque. Plus ils apprendront, petits, comment on fait les choses correctement, plus les enfants auront à l’esprit eux-mêmes de faire la leçon à leurs parents et de transmettre aux générations futures.

Parmi les acteurs-clés, également, les socioprofessionnels : au sein des entreprises et des administrations, il faut aussi se préparer. Nous le faisons à la Préfecture : nous déclinons le plan ORSEC de l’Etat. Et nous demandons à chaque société de développer son propre plan de secours. Idem au sein de sa famille.

Mais attention au choix des guides-référents, dans ces cellules professionnelles ou privées.

On apprend aussi d’Irma que, même les personnes dont c’est le métier de sauver des vies, ou d’être en charge de la sécurité… sont des humains. Donc face à un évènement exceptionnel, ils peuvent paniquer, ils peuvent être plus soucieux du sort de leurs proches que des personnes qu’ils sont sensés aider. Donc – je l’ai dit aux socioprofessionnels – cela suppose qu’il faut bien réfléchir, dans le montage de son plan. Il faut s’assurer que les gens qui vont être en charge de l’organisation des secours pendant la crise, soient des gens qui vont tenir le coup quoiqu’il arrive. Et ce n’est pas une question de faiblesse… c’est humain. Un père de famille va forcément s’inquiéter pour ses enfants. Mais il faut pouvoir reposer sur des personnes qui vont être entièrement consacrés à l’urgence. A Saint-Martin, les personnes étaient complètement désorganisées. Et pour ceux, en revanche, qui étaient dans la gestion de crise… c’était un sacerdoce. On ne regardait jamais l’heure, on ne mangeait pas. Il fallait que notre esprit soit libre de toute autre contingence.

A.G. : Quels rôles jouent les services de l’Etat, en matière de gestion des risques naturels ? Comment sont-ils organisés ?

P.G. : D’abord, il y a tout ce que l’on peut faire en anticipation. C’est d’abord de la planification, qui en matière de risques a prouvé son sens… avec les différents plans ORSEC* que l’on peut mettre en place. Ils prévoient l’organisation des secours qui conduisent à actualiser, en continu, l’ensemble des process qui permettent, le jour venu, quand le cyclone arrive, d’être prêt, d’avoir les listes à jour (numéros de téléphone, entreprises à réquisitionner, plans, documents légaux…). Davantage d’anticipation peut être faite, notamment en termes de sécurisation des bâtiments, face au risque sismique. Le plan « séismes Antilles » est là pour ça… mais il n’est malheureusement pas suffisamment utilisé, même si certaines communes, le Département et la Région se sont engagées sur cette voie.

Et puis, il y a tout ce que l’on fait au moment de la crise. Le préfet devient le chef d’orchestre d’un COD*, avec les communes. C’est une cellule de crise, avec trois missions principales :

  • La première, c’est de coordonner. On a, autour de la table, selon le risque, l’ensemble des services de l’Etat (Météo France, la police, la gendarmerie…), mais aussi ceux qui ne dépendent pas de l’Etat (pompiers, associations, opérateurs de téléphonie et d’électricité…).
  • Ensuite, il s’agit de s’assurer que tout fonctionne bien et d’anticiper les conséquences qui peuvent être en cascade. On est toujours à anticiper les choses les plus horribles. Et le pire qui puisse arriver (ce que je crains le plus), c’est une combinaison séisme-tsunami et une inondation qui submerge Jarry (sachant que la Guadeloupe est aussi concernée par le risque industriel).Un exemple vécu : à Saint-Martin, le fait de ne plus avoir ni eau, ni électricité, ni téléphonie, ça peut entraîner des risques sanitaires. Un hôpital défaillant. Une menace d’apparition de maladies. Les rats qui se développent. On a eu tout ce passage, à Saint-Martin, où on s’est posé plein de questions. Il faut toujours tirer le fil et se demander : « Qu’est-ce qui peut encore arriver de pire ? »
  • Enfin, de plus en plus au cœur de nos préoccupations, dans la gestion d’une cellule de crise ou d’un COD, c’est communiquer. Et pour cette communication, on utilise les médias et, de plus en plus, les réseaux sociaux. La préfecture de Guadeloupe a de plus en plus de followers… et c’est important, parce que ce sont ces canaux-là, si les réseaux fonctionnent que, le jour venu, que nous ferons passer des informations.

A.G. : Il existe des moyens de renforcer les dispositifs de prévention et de gestion de crise – notamment le « cell broadcast »** (diffusion cellulaire), ou encore la signalétique**** des refuges de l’archipel, en cas d’alerte tsunami – mais qui ne sont pas instaurés localement. Qu’est-ce qui freine la concrétisation de tels équipements, qui sont opérationnels ailleurs ?

P.G. : On va sortir de la Guadeloupe, pour parler d’un autre risque que j’ai bien connu : le risque inondation. Il est de tradition, en bord de Loire, comme en bord de Seine, de marquer les « laisses de crue » : les traces les plus hautes laissées par les eaux. Ses repères sont sur les maisons, avec mention de l’année où cela est arrivé. Des éléments extrêmement importants pour se souvenir car, si c’est déjà arrivé, cela peut se reproduire. On pourrait faire la même chose, avec des « laisses de cyclone ». On sait le faire ! C’est la cartographie ! Les Plan de prévention des risques naturels (PPRN) sont basés là-dessus. Eh bien, on s’est rendu compte que les gens, en particulier ceux qui voulaient vendre leur bien, effaçaient cette trace. Ils estimaient que cela pouvait gêner la vente de la maison. Ce qui empêche ce que vous évoquez, c’est qu’on est dans une société où on est persuadé que l’Homme et que la technique sont plus forts.

A.G. : Vous êtes en train de dire que ce sont les particuliers qui bloquent les moyens d’améliorer la prévention des risques ?

P.G. : Non. La signalétique des points hauts-refuges relèverait aussi de la responsabilité des communes. Et je comprends les élus qui me disent : « il ne faut pas être anxiogène ».

Autre exemple : j’ai été ambassadeur de France en Roumanie. Ce pays est très exposé aux séismes (35 000 morts en 1977). Dans tous les hôtels sur place, dans le tiroir de la table de nuit, vous avez un sifflet, une lampe et les instructions, en cas de séisme, dans toutes les langues. Quand j’ai vu ça, je me suis dit qu’il faudrait instaurer cela en France. Mais chez nous, on a du mal. Les gens ont du mal à accepter que l’on n’ait pas des assurances pour tout. Ils ont du mal à intégrer que l’on ne soit pas protégé contre tout. J’ai eu un débat dernièrement avec les assureurs à ce sujet et il y a des études qui portent là-dessus. Il ne suffit pas de payer et d’avoir un aménagement technique pour être protégé. La nature sera toujours plus forte que nous ! C’est pourquoi j’insiste beaucoup sur la nécessité de développer cette culture du risque.

Mais attention, hein ! Avec les marques de crues, les gens ne les voyaient même plus. On a tendance à se dire « Oh ! c’était il y a 30 ans ! ».

Et, quoiqu’il en soit, le risque zéro n’existera jamais.

Concernant le « cell broadcast »**, on le fait avec les élus. Le SIDPC (Service interministériel de défense et de protection civile), installé à la préfecture et qui prépare les plans, a l’ensemble des téléphones portables des élus, dans une base, pour envoyer des SMS… et puis, aujourd’hui, on a surtout les e-mails. Ça ne concerne pas toute la population. Mais, oui, ça pourrait être un élément important.

Un autre système, dont j’ai l’impression qu’il n’est pas très répandu en Guadeloupe : c’est la sirène. Normalement les mairies doivent les faire retentir les premiers mercredis du mois, à midi… mais je n’ai pas entendu de sirène depuis que je suis ici. C’est un moyen d’avertir d’un tsunami, ou d’une autre catastrophe.

 

POUR ALLER PLUS LOIN/

www.guadeloupe.pref.gouv.fr/

* A lire l’article sur "Alerte Guadeloupe" : « Les autorités organisent / La population s’informe »

** Le « Cell Broadcast » est une technologie qui permet d’envoyer le même message (d’alerte, notamment) à toutes les personnes inscrites à ce service, dans un espace géographique défini et quel que soit le modèle de téléphone portable. Il a fait ses preuves dans plusieurs pays... davantage que le « Système d’alerte et d’information des populations » choisi par l’Etat français, selon un rapport d’information sénatorial qui date d’août 2014.