Ci-dessous, l'histoire de Paul, accidenté de la route :
Il a presque la cinquantaine. Il est marié, a des enfants, il est actif et mène une vie comme on dit sans histoire…
Sauf peut-être celle de 1995 où, un jour d’été, c’est l’accident... Arrive alors l’urgente et délicate opération pour réparer de multiples lésions : à la colonne vertébrale (plaques métalliques pour souder les vertèbres fracassées dans le choc), sur la moelle épinière touchée à 80 % et les dommages de l’impact du choc sur les racines sacrées, le cône… Puis une longue, très longue rééducation pour réapprendre à marcher, tenter d’uriner dans un premier temps sans sondage, ceux qui blessent physiquement comme psychologiquement, et qui vont le conduire inéluctablement à subir plusieurs passages au bloc afin expérimenter d’autres techniques pour ouvrir un sphincter qui ne s’ouvre plus quand il le faut, et s’ouvre trop quand il ne le faut pas, éliminer ses matières fécales naturellement, jongler entre constipations et diarrhées, pour arriver à vivre quotidiennement sans protection hygiénique... Croire en une nouvelle vie sociale à venir.
Il ne se doute pas encore qu’il va entamer un combat encore plus long et plus insupportable : celui contre les douleurs, celles qui l’empêchent de rester en position debout ou assise trop longtemps sous peine de déclencher d’atroces douleurs périnéales. Il lui faudra supporter des décharges électriques dans les jambes, les pieds, cette barre qui lui traverse le dos et lui coupe le souffle. Ces douleurs neurologiques périphériques liées aux lésions et qui vont progressivement le rendre acariâtre, d’une humeur instable, parfois et bien trop souvent désagréable avec ses amis, sa famille… Alors bien sûr, il a son lot de traitements. Un dossier médical épais comme une encyclopédie. Ah ces fameux traitements ! Tous les antalgiques classiques qui, inefficaces au regard de sa souffrance, l’entraîneront irrémédiablement vers un cocktail de dérivés d’opiacés (Contramal), de benzodiazépines (Rivotril) et d’un antidépresseur (Laroxyl), pour essayer juste de moins souffrir, de dormir un peu la nuit, arriver à se lever le matin.
Aller travailler avec le lot d’effets secondaires désastreux de ces pilules : troubles de la mémoire, baisse considérable de la vigilance, fatigabilité majeure, insomnies, troubles de l’humeur, aggravation des problèmes urinaires, tant d’autres troubles de la vie dans sa moindre intimité… Sans oublier l’accrochage, la dépendance. L’impossibilité d’arrêter cette mixture médicamenteuse que lui refusent ces douleurs insidieuses, essayer de trouver la bonne posologie qui lui permettrait de trouver l’équilibre entre souffrir «raisonnablement » et avaler un peu moins de médocs pour se sentir un peu plus vivant, un peu plus papa, un peu plus mari, bref, un peu plus humain. Mais même cela lui est interdit, la dépendance est trop forte. Un homme, une vie, vraiment ? 20 ans à ce rythme, 20 ans à survivre, surnager socialement, familialement, professionnellement, souffrir toujours et encore, à en pleurer souvent en silence, déprimer, penser à en finir…
Alors il part à la recherche de "LA" solution. Fouille sur Internet, dans les lectures d’articles scientifiques qui parlent du cannabis, de ses vertus thérapeutiques, de son efficacité pourtant contestée, jongle entre les avis des "pour" très pour et des "contre" très contre. Difficile de se faire une opinion objective dans ce concert cacophonique ! Mais à bout, il se lance, il veut et va essayer. Que risque-t-il vraiment ? Ses proches finiront par le soutenir malgré de premières et bien légitimes réticences, et cela lui suffit. Il va mettre en place sa propre culture de cannabis… thérapeutique ! En clair, une variété pauvre en molécules psychotropes, celles qui shootent, et riches en celles efficaces contre les douleurs. Les plantes poussent, les fleurs apparaissent, laissant augurer un avenir meilleur. Puis la récolte, le séchage… Tout ce qui est interdit dans notre "beau" pays. Et enfin… LA DELIVRANCE !
D’abord le sevrage, en quelques semaines. Le cannabis lui a permis de lâcher assez rapidement son chapelet quotidien de gélules qui, pour un piètre résultat, lui ont pourri si longtemps la vie. Et tellement moins violemment, tellement plus confortablement et efficacement que tous ces précédents sevrages avortés. Et surtout, surtout… ces douleurs ! Aucun mot ne peut traduire ce qu’il a pu ressentir quand ce corps est sorti progressivement de 20 ans de souffrance. Les effets secondaires sont tellement dérisoires (troubles légers de la mémoire, baisse de la vigilance…), mais plus rien de comparable avec ce qu’il a vécu sous opiacés (dérivés morphiniques…), pourtant légalement délivrés sur ordonnance. Pour lui, enfin une renaissance...
Et si c'était vous ?