LE CANNABIS, ET SI ON EN PARLAIT ?

 

 

 

Légalisera-t-on un jour le cannabis ? Le dépénalisera-t-on ? A l'heure où les esprits s'échauffent dans un débat sans fin et qui rejaillit tous les 5 ans, quelques précisions pour le faire avancer...

C'est une question qui revient régulièrement mais de nombreux débats sont fondés sur des éléments passionnels qui cristallisent des représentations sociales contradictoires : d'un côté la fête, la liberté... De l'autre, l'insécurité, la drogue, la délinquance. Attention donc à avoir une opinion étayée par des données scientifiques et non pas des à priori culturels et moraux.

- Le cannabis, une drogue douce ?

Drogue douce, drogue dure... Si nous restions dans ce type de réflexion, l'alcool serait considéré comme une drogue dure car il a un pouvoir addictogène, (capacité à rendre dépendant), bien plus important que le cannabis. Mais on ne pense plus en addictologie en ces termes là. Les produits sont tous, à des degrés divers, addictogènes. Par contre, la comparaison avec l'alcool s'arrête là. Car, s'il faut, en fonction des individus, quelques verres pour ressentir un effet d'ivresse, le cannabis a un effet immédiat dès le premier joint sur la vigilance, les troubles de la conscience... L'ancien slogan "un verre ça va, trois verres : bonjour les dégâts" ne s'y appliquerait pas, ce serait plutôt : "un joint... bonjour les dégâts". Il n'y a donc pas la possibilité d'avoir une consommation "dégustative" qui serait neutre. Il y a toujours un effet sédatif important qui soulage les angoisses, apaise, fait dormir...

- L'échec de la politique de répression :

Il est clair que cette politique ne fonctionne pas ! La France reste le premier pays consommateur en Europe. Entre les années 90 et 2000, la consommation de cannabis a doublé. Entre 2000 et 2010, nous sommes passés de 6000 à 12000 interpellations par an pour son usage. En 2011, 60% des adolescents ont fumé au moins une fois du cannabis et 22% d'entre eux sont des fumeurs réguliers. Sans parler des consommateurs adultes qui touchent toutes les classes sociales : de l'ouvrier au cadre supérieur, et dont la consommation peut être récréative comme pathologique...

- Pour rétablir la vérité et en finir avec les préjugés, quelques mots sur les effets du cannabis :

Les consommateurs recherchent principalement l'effet euphorisant du produit, la convivialité et les modifications de la conscience. Ils apprécient également les effets antistress, relaxants, et l'aide apportée pour trouver le sommeil. Il existe d'autres effets : sensation d'ivresse, diminution de l'anxiété, altération des réflexes, de la vigilance, moindre performance de la mémoire et de la concentration, etc... Suivant les personnes et parfois au cours d'une consommation importante, il peut déclencher des sentiments très angoissants, l'impression d'être suivi, épié..., ce que les consommateurs appellent "crise de parano" ou "bad trip". Ces effets sont rarement prévisibles et s'estompent progressivement.

Par contre, il présente des intérêts thérapeutiques réels : diminution des douleurs, des nausées, des vomissements, que certains pays tels que le Canada, la Suisse, la Finlande... utilisent déjà. La France s'y oppose toujours. Il existe un débat autour d'une pathologie psychiatrique qui serait déclenchée par le produit : la schizophrénie. Pourtant, le nombre de cas de schizophrénies est resté stable alors que le nombre de fumeurs a été multiplié par 2 en 20 ans. On pense plutôt que le cannabis déclencherait des schizophrénies latentes, préexistantes, qui seraient apparues tôt ou tard.

Les répercussions sur la santé physique restent importantes et sont surtout liées aux effets nocifs de la fumée de cannabis mélangée à celle du tabac, dont les plus courants sont :

- cancer de la bouche, des bronches, des poumons...

- toxicité cardiovasculaire : infarctus, accidents vasculaires cérébraux, (A.V.C.),

- insuffisance respiratoire chronique,

- diminution de la fertilité masculine,

- risque chez la femme enceinte de bébé prématuré, de petite taille,

- ...

Mais attention, car si nous évoquions les effets de l'alcool sur la santé, et si ce produit était prohibé, aucun gouvernement n'oserait le légaliser ! Ses effets délétères seraient trop longs à lister ici.

- Et si nous légalisions le cannabis ? Quels impacts ?

Le cannabis est principalement fumé à partir de résine. La dépénalisation aurait déjà l'avantage d'organiser la vente du cannabis d'une moindre toxicité vis-à-vis des produits de coupage de cette résine, (micro billes de verre, terre, excréments, henné, caoutchouc, etc...), et moins dosé en T.H.C., (Tétrahydrocannabinol), le produit psychoactif, minimisant ainsi les risques d'accidents de la circulation routière, entre autres. L'un des freins à cette dépénalisation serait, en amont, de passer outre trois conventions internationales qui rendent le trafic et l'achat illicites : celles de l'O.N.U. en 1961, de Vienne en 1971 et des Etats-Unis en 1988. Une dépénalisation serait aussi un message contradictoire adressé à la population. Les politiques de santé publique sont centrées sur la prévention de l'usage, entre autres, du tabac, du mésusage de l'alcool... Quel impact aurait alors une légalisation du cannabis ?

La question mérite toutefois d'être posée. Le cannabis est tout aussi dangereux que l'alcool. Mais ce dernier est ancré dans notre culture jusqu'à en devenir parfois doté de vertus alimentaires, (antioxydant). Il serait inenvisageable en France d'interdire l'alcool alors que 5 millions de français en sont dépendants ou en mésusage, et qu'en incluant les proches, 20 à 25 millions de personnes sont concernées.

Alors ? Pour ou contre ?

Si je me positionne en tant qu'individu, père de famille, je serais plutôt contre, mais mon jugement serait alors altéré par des considérations affectives et subjectives. En tant qu'addictologue et malgré les effets toxiques décrits ci-dessus, je pencherais plutôt vers une expérimentation sur quelques années de dépénalisation et de légalisation du produit. Il serait intéressant d'en mesurer les impacts à moyen terme, quitte à revenir ensuite sur une politique de répression si la consommation flambait. Ce dont je doute fortement, tant le produit est déjà accessible partout, dans les grandes agglomérations comme dans les campagnes. De plus, cette autorisation permettrait, en ne stigmatisant plus les consommateurs, un meilleur repérage et une meilleure prise en charge des patients dépendants. On parle de ce sujet avec des positionnements politiques opposés, mais les débats sont trop passionnels : la droite est plutôt contre, la gauche plutôt pour. Il faut, de toute évidence arriver à calmer le débat, informer la population, et dédiaboliser le produit.

Toutes les sociétés, et de tous temps, ont vécu avec des produits psychoactifs qui sont leurs soupapes de sécurité. Aujourd'hui, 60% des français se disent opposés à la légalisation du cannabis. Mais ces débats nous ramènent aussi à notre propre rapport au produit, à notre propre lien avec les dépendances, (affectives, tabac, alcool...).

Que nous nous positionnons pour ou contre, nous venons aussi interroger cet aspect là.