Sur le site du Courrier International, voici, ci-dessous, un article sur le positionnement novateur de l’Uruguay concernant la culture, la vente et l’usage du cannabis. Certainement étudié à la loupe dans les mois à venir, cet Etat pourrait devenir le laboratoire d’essai d’une nouvelle politique sur ce produit, sujet à de très nombreuses controverses en France et à des positionnements très tranchés :
L’Uruguay, un test continental
Le Sénat uruguayen a adopté ce 10 décembre la loi autorisant la culture, la vente et l'usage de cannabis. Le pays devient ainsi le premier au monde à en contrôler toute la chaîne, de la production à la consommation. Une expérience risquée, estimait en août dernier le Los Angeles Times. Théâtre des opérations les plus violentes de la guerre contre la drogue menée par Washington, les pays d’Amérique latine contestent pour la plupart l’attitude implacable des Etats-Unis dans leur lutte contre les stupéfiants. L’Uruguay, le plus petit pays de la région, est toutefois le premier à entrer en rébellion ouverte. Il devrait bientôt être le premier pays à légaliser la culture, la vente et la consommation de cannabis à l’échelle nationale. L’Uruguay est un cas tout à fait singulier en matière de drogue. Contrairement à de nombreux pays d’Amérique latine, l’Uruguay affiche un taux de consommation de drogue plutôt faible et relativement peu de violences et délits liés au trafic. Et, malgré tous les efforts de l’actuel président, José Mujica, en faveur de la légalisation, les sondages montrent que deux tiers des Uruguayens sont encore opposés à cette mesure. Face à une telle opposition et alors que le pays compte à peine 120 000 consommateurs réguliers de cannabis, pourquoi le gouvernement défend-il une décision aussi avant-gardiste ? “Pepe” Mujica la présente comme une mesure de sécurité publique. Difficile pourtant de croire qu’il s’agit là de l’objectif premier du président. Après tout, l’Uruguay affiche un des taux de criminalité les plus faibles d’Amérique latine. La volonté du président Mujica de laisser une marque en tant que dirigeant progressiste semble une explication plus crédible. En tout juste un an, il a notamment fait adopter la loi la plus libérale de toute la région sur la question de l’avortement et légalisé le mariage homosexuel. L’initiative uruguayenne est également une réaction au profond sentiment de frustration que suscite en Amérique latine la guerre contre la drogue menée par les Etats-Unis, qui, aux yeux des pays d’Amérique latine, est en bonne partie responsable des explosions de violence sur le continent.
Les questions centrales sont les suivantes : la légalisation peut-elle effectivement faire baisser la criminalité, décourager la consommation de substances plus dangereuses que la marijuana et réduire les craintes face à l’insécurité ? Ou n’aura-t-elle qu’un impact réduit sur la criminalité tout en encourageant la consommation de drogue ? Deuxièmement, si la politique uruguayenne est couronnée de succès, est-elle pertinente pour d’autres pays ? On ignore les conséquences de cette décision, et peut-être faudra-t-il la remettre en cause. Le président Mujica lui-même en parle comme d’une “expérience”. Le marché noir peut prospérer grâce aux jeunes et aux touristes – à qui la vente serait légalement interdite –, ainsi qu’aux consommateurs ne se satisfaisant pas de la quantité autorisée par le gouvernement. Hausse de la consommation. En effaçant la stigmatisation culturelle de la consommation de marijuana, ainsi que les craintes pour la santé, la légalisation du cannabis pourrait provoquer une hausse de la consommation, même si les recherches existant sur le sujet tendent à démontrer le contraire. Il est toutefois fort possible que le cannabis légalisé de l’Uruguay atterrisse chez ses voisins brésilien et argentin (tout comme la production du Colorado atteindra le Nouveau-Mexique et le Wyoming). Enfin, les réseaux criminels pourraient se tourner vers d’autres activités ou le trafic de drogues plus dangereuses.
La légalisation de la marijuana en Uruguay ne devrait pas avoir d’effet majeur sur le trafic de stupéfiants à l’échelle du continent. L’Uruguay n’est ni un grand producteur ni une importante zone de transit. Et, comparé au Brésil ou aux Etats-Unis, le marché y est quasi inexistant. La courageuse décision de ce pays pourrait néanmoins initier une tendance en Amérique latine. De nombreux pays ont déjà formellement dépénalisé ou tolèrent de fait la consommation de marijuana.
L’expérience menée par ce petit pays aura sans aucun doute un impact important, mais c’est surtout l’évolution de la situation aux Etats-Unis qui déterminera le futur de la lutte contre la drogue. L’Etat de Californie consomme à lui seul près de 500 tonnes de marijuana chaque année, contre seulement 22 tonnes pour l’Uruguay. Plus important encore, les Etats-Unis auront de plus en plus de mal à prôner l’interdiction de la marijuana, alors que les citoyens américains réclament eux-mêmes une plus grande tolérance. »
—Peter Hakim & Cameron Combs
Source : http://www.courrierinternational.com/article/2013/12/11/l-uruguay-un-test-continental