Trois temps peuvent être identifiés dans la prise en charge :
- en amont,
- pendant,
- après.
Voyons aujourd’hui le premier temps : en amont de l'arrêt et les différents soins :
1/ L’alliance thérapeutique :
Trois facteurs déterminent la qualité et l’intensité de l’alliance thérapeutique :
a) le lien entre le patient et son thérapeute,
b) l’accord entre le thérapeute et le patient quant aux objectifs et aux buts du traitement,
c) l’accord entre le patient et le thérapeute sur les activités spécifiques que le patient devra mettre en place pour provoquer un changement...
Capitale, la première rencontre a lieu entre 3 partenaires : un soignant, le consommateur et... le produit. Celui-ci a tout envahi : sa vie affective, sociale, professionnelle… Il ne vit que pour et par lui. Attention ! Notre «réalité» n’est pas celle du patient. Il a perdu toute maîtrise «émotionnelle», relationnelle… Son rapport au temps est modifié. Chronologique pour nous, il vit dans une temporalité circulaire. Il alterne les périodes de manque et de douleur associée et celles d'absorption du toxique qui va venir le soulager un certain temps.
2/ L’Empathie :
L’empathie est nécessaire en ayant à l’esprit que le patient s’est maintes fois vu critiqué, rejeté, voire haï du fait de sa consommation d’alcool. L’alcoolo-dépendance par exemple, est une maladie qui nécessite des soins. Déculpabiliser, ôter tout jugement moral si présent à l‘extérieur est donc primordial. Le patient doit savoir que dans ce lieu, un soignant pourra l’entendre et l’accepter là où il en est dans son rapport au produit.
- La famille : la demande de soin est régulièrement alimentée par des pressions familiales : conjoints, parents, enfants… Que faire de cette souffrance qui doit être prise en compte mais ne doit pas se retourner contre le malade dépendant ? Ces pressions amènent le soignant à devoir tempérer, expliquer, gérer la crise…, travail qui oblige à entendre la parole et la souffrance individuelle et/ou collective, et à différer la réponse thérapeutique, (hospitalisation ?). Attention aux demandes de soins magiques ! La charge émotionnelle portée par les familles est à la hauteur des attentes de soins, souvent d’hospitalisation, attentes tant espérées, souvent imaginées comme impossibles tant la dépendance enferme le patient dans sa consommation. D’où la nécessité de «faire entendre» au patient et à l‘entourage que le premier soin s’avère être le début d’une prise en charge et de la mise en place d’un accompagnement.
3 / L’entretien motivationnel :
On peut s’arrêter un instant sur ce point particulier, la motivation, qui se trouve très souvent à l’origine de difficultés dans les équipes soignantes ainsi que dans l'entourage et la famille. Il est clair que la motivation à l’arrêt d'un produit est variable et va être conditionnée par des éléments tels que la pression familiale, socioprofessionnelle, l’entourage, une obligation de soins, etc… Mais comment peut-on pour autant avoir des certitudes sur l’échec ou la réussite à venir du soin mis en place ? Quels intervenants en addictologie peuvent prétendre, raisonnablement, pouvoir prévoir l’issue de la prise en charge ?
C’est là que la notion de motivation, toute importante soit-elle, est à relativiser. On retrouve dans ce sentiment d’impuissance, l’absence d’un élément essentiel qui va être un des fondements de la prise en charge : l’ambivalence. Elle va venir «parasiter» le lien thérapeutique et rendre incompréhensible certains comportements de patients dépendants. L’ambivalence est souvent identifiée comme du déni ou de la mauvaise volonté. L’entretien motivationnel la reconnaît comme un état psychique normal et adapté face à un choix difficile, paralysant le patient dans un conflit intrapsychique difficile à résoudre. Le rôle du thérapeute est de l’aider à lui faire prendre conscience de son ambivalence en l’autorisant à l’exprimer librement. Le patient est face à un choix terrible. Le penser seulement peut même parfois être terriblement anxiogène. Comment imaginer un instant se passer d’un produit qui justement lui est indispensable ? C’est faire entendre au patient le paradoxe que constitue la vie sans alcool. Car pour lui, c’est justement de se passer du produit qui lui est indispensable. Alors comment l’aider à imaginer l’inimaginable ?
De là découle naturellement un travail d’information nécessaire à faire auprès du patient. Plusieurs points sont à aborder, avec entres autres :
- la prédisposition, les fragilités familiales,
- les notions de dépendances : psychiques et physiques,
- lui parler du produit «alcool»,
- l’informer...
Comprendre sa pathologie est indispensable pour pouvoir envisager des soins et lui ôter une partie de sa culpabilité.
4/ L'analyse fonctionnelle :
Elle va s’inscrire dans ce processus de préparation et d’avance de parole. Le Dr Charly CUNGI l'explique ainsi : «L’analyse fonctionnelle est la méthode la plus pertinente pour recueillir les informations et les organiser de manière utile pour l’action. Sortir d’une dépendance n’est pas chose facile. Une bonne analyse fonctionnelle permet de mieux adapter les solutions et minimise le risque d’échec toujours décourageant. La recherche avantages/inconvénients de poursuivre la pratique addictive se fait le plus souvent sous la forme d’un tableau».
On peut utiliser pour cela une simple feuille blanche où l’on va construire deux tableaux :
- un au recto. Deux colonnes proposant de noter les avantages et les inconvénients à continuer de consommer le produit.
- un au verso. Même principe : deux colonnes proposant cette fois les avantages et les inconvénients à arrêter de le consommer.
Cette méthode sort du cadre habituel des entretiens, et permet de placer le patient dans une position active. Le simple fait d’évoquer avec lui les avantages qu’il a à consommer va nous permettre d’aborder un autre travail de déculpabilisation : oui ! Il y a des avantages à boire. Oui ! Prendre du plaisir est (peut-être) encore possible mais au moins cela peut être dit et entendu.
Cette liste n'est pas exhaustive mais elle dresse à minima un certain nombre de priorités avant l'arrêt du toxique. Ensuite, viendra le temps du sevrage, de l'arrêt puis la difficile expérimentation de la vie sans ce produit. Un patient entrant en soin ne doit pas se préparer à un sprint au bout duquel toutes les difficultés seront résolues. La préparation physique du marathonien se rapproche beaucoup plus du travail qu'il va devoir mettre en place, avec, mais on le verra plus tard, les risques de rechute(s), les envies, la souffrance... mais au bout du tunnel, une vie libre et sans toxique.