Interview de Dominique BROC, porte parole des Cannabis Social Clubs (C.S.C) en France

JFH : Quelles sont les actions à venir et les objectifs du C.S.C. ?

DB : C’est tout d’abord rassembler les clubs qui adhèrent à notre principe et faire preuve de désobéissance civile dans un premier temps. Les objectifs sont clairs et multiples : lutter contre l’économie souterraine générée par le trafic, assainir le produit, (ces produits coupés +++ empoisonnent nos gosses même si on n’est pas pour que nos gosses fument, les C.S.C. étant interdit aux mineurs). Nous avons un système le plus répressif d’Europe mais les plus mauvais résultats avec le plus grand nombre de consommateurs. De plus en plus de jeunes sont confrontés au cannabis. Cette prohibition date de la loi de 1970 et entraîne la répression qui, elle-même remplit nos prisons. Une école du crime est mise en place par cette prohibition qui est l’apprentissage de la délinquance. Les ados, (même plus jeunes), consomment au collège et sont en relation avec des gens «peu fréquentables». Très rapidement, le petit consommateur devient dealer pour se procurer sa came. Et comme il n’a pas d’argent, c’est souvent l’escalade : vendre pour payer sa conso. C’est le doigt dans l’engrenage… Trafic «à petite échelle», puis parfois cambriolage, recel…, qui amène à la vraie délinquance. Ces gamins se retrouvent en tôle. C’est ça la vraie escalade, car aujourd’hui, nos politiciens continuent à nous dire que le cannabis conduit à l’héroïne. Quand les discours vont dans ce sens, nous restons dubitatifs… La plupart des consommateurs de cannabis n’iront pas aux drogues dures.

JFH : Vous évoquez aussi la qualité du produit consommé…

DB : On ne veut pas qu’il soit commercialisé pour qu’il reste à l’état naturel, si on légalise et commercialise, il y aura des confits d’intérêts et la création de lobbies. Regardez le tabac, qui est une plante : pour réduire le taux de nicotine et augmenter les dépendances, il y a adjonction de mercure, d’ammoniaque, de divers produits chimiques pour améliorer aussi le goût et toucher le plus de personnes possibles, mais ils sont extrêmement nocifs. Avec le cannabis, on n’est pas dans la même démarche, on veut qu’il soit sain, voire dans une démarche de réduction des risques. Les Membres des C.S.C. recommandent d’ailleurs de ne pas mélanger cannabis et tabac. (Le tabac est encore plus dangereux…). D’ailleurs, le cannabis n’est pas la drogue la plus consommée en France, mais bien le tabac et l’alcool, et Il y a quelques années seulement, on n’hésitait pas à faire finir un verre à un gamin de 5 ans…

JFH : Que répondez-vous à ceux qui évoquent l’aspect dégustatif des alcools à contrario du cannabis ?

DB : Tous les chanvres, (la plante du cannabis), n’ont pas les mêmes goûts. Il existe plusieurs variétés… Et on retrouve là l’aspect gustatif au même titre que le vin. Il y a différents types de chanvre. Et les effets sont différents. Un aura à tendance à nous assommer, nous déstresser, nous détendre, l’autre va plutôt nous stimuler. Au marché noir, il est impossible de savoir ce que l’on achète. On ne connait d’ailleurs pas le taux de THC. On ne peut éviter les bad trips. Essayons d’imaginer un instant l’alcool prohibé : toutes les bouteilles ont la même forme, la même couleur, et sans étiquette. On ne saurait pas ce qu’il y a dedans, (vin, bière, whisky…), on ne connaîtrait pas le degré d’alcool. Les gens ne pourraient gérer leur consommation. Un verre de 25 cl de whisky n’est pas la même chose qu’un verre de 25 cl de panaché. Et c’est exactement pareil avec le cannabis acheté dans la rue.

JF : Et l’aspect médical du cannabis, ses vertus médicales ?

DB : Les C.S.C. s’encadrent de spécialistes, (des Médecins nous soutiennent). En France, la recherche n’est pas possible, on est obligé de passer par des labos étrangers pour tester nos fleurs de chanvre et connaitre leur taux de THC. Pour nos malades, c’est important de connaître l’ensemble des cannabinoïdes présents. En fonction des pathologies, les types de chanvre ne sont pas les mêmes. (CBN, THC…). La plupart des clubs proposent un usage thérapeutique. En 15 ans, j’ai vu beaucoup de patients, ce sont même des Médecins qui me les ont envoyés. Quand les gens ne fumaient pas, je leur ai expliqué qu’on pouvait utiliser le chanvre différemment. D’autres souhaitaient continuer à fumer. Mais on peut faire du beurre par exemple, et cuisiner avec. On a maintenant aussi des vaporisateurs, moins toxiques, la teinture verte, (quelques gouttes sous la langue). On a ainsi les effets antalgiques sans les effets indésirables, (psychotropes). Beaucoup peuvent se soigner ainsi, et conduire ensuite sans problème. Le THC est très très faible... On critique les consommateurs de cannabis au volant, mais on ne regarde pas tous ceux qui prennent du Xanax, du Lexomil, des anti-dépresseurs, on ne se pose pas de questions, on ne se dit pas que ces personnes présentent des risques au volant. Ils sont sous psychotropes légaux, mais ils sont quand même dangereux. On peut être stone sous psychotropes légaux mais pas inquiétés !

JFH : Comment se ferait la vente par les C.S.C. ?

DB : Il n’y aurait pas de vente dans les C.S.C., c’est là notre point fort. C’est juste le coût du prix de revient. On calcule les kw consommés, on regarde les factures de tout ce qu’il a fallu acheter, (terreau, pots…), et on partage les factures entre Membres sans aucun intérêt ni pour les uns ni pour les autres. Nous avons tous le même statut, (les C.S.C. sont au maximum 20 personnes). On partage les frais à part égale, on est tous producteurs/consommateurs. On est tous à égalité.

JFH : Vous souhaiteriez donc mettre en place ce modèle en France ?

DB : Oui, tout à fait et en toute transparence. Les C.S.C. participeraient même à l’économie nationale. Les shops par exemple où on achète le matériel pour la culture, courant électrique, l’eau…, on paie toutes ces factures. A côté de ça, la France laisse le cannabis dans les mains de la Maffia. Eux s’enrichissent, pendant que nous payons une guerre à la drogue. En 2011, ça a coûté 1000 millions d’euros. Reconnaissons qu’un monde sans drogue n’a jamais existé et n’existera jamais. C’est de l’utopie de devoir lutter contre la drogue. En France, on inquiète surtout les petits consommateurs mais peu ou pas les gros trafiquants.

JFH : Combien revendiquez-vous de C.S.C. en France ?

DB : Nous avons énormément de demandes mais le gouvernement reste autiste depuis nos 8 mois de campagne, alors on a changé de stratégie. (A ce jour, on compte environ 400 clubs). On va les avoir à l’usure. Plutôt que de les déclarer tous en même temps, chaque semaine, on déclarera un C.S.C. par département. L’état va devoir faire une demande de dissolution club par club et la justice devra se prononcer. Nous ce qu’on veut, c’est accéder à la Cour Européenne. Prenez l’exemple de l’Espagne qui ne voulait pas des C.S.C. (Ils ont saisi toutes les récoltes). Deux ans après, l’Espagne a du faire marche arrière à la demande de la Cour Européenne. L’O.N.U. a reconnu le concept des C.S.C. depuis 2004 comme un moyen efficace pour lutter contre le trafic. On ne serait pas hors la loi, et l’Etat ne serait pas considéré comme un état narco-trafiquant mais comme un état pragmatique. Le meilleur exemple d’Europe est le Portugal. En 2002, ils ont dépénalisé toutes les drogues, mais eux n’avaient pas ce problème sécuritaire qu’on a en France. Ils ont été montrés du doigt comme étant la déchéance qui arrivait par le Sud. 11 ans plus tard, le Portugal envisage de légaliser le cannabis, ils ont dépénalisé toutes les drogues sans faire n’importe quoi, ils ont encadré la consommation. Ils vont inclure le principe des C.S.C. dans leur constitution. L’Uruguay, idem, sous le terme «d’Associations de producteurs».

JFH : N’y-a-il pas le risque de développer une autre économie souterraine avec d’autres produits ?

DB : On nous sort cet argument à chaque fois mais elle existe déjà, tout est venu sous le manteau. (Drogues de synthèse, héroïne…). Ce n’est pas parce qu’on va supprimer le trafic de cannabis qu’on va augmenter le trafic d’héroïne. L’arrêt de la prohibition créerait des richesses et des emplois. Le danger en France est une dérive à la manière de la Colombie, où les cartels dirigent tout. En France on évoque même de mettre des contraventions aux consommateurs... !