JT de France 2 du Vendredi 16 Novembre 2012 à 20h00 et magazine «13h15 le samedi» du lendemain
Dans le port d’Amsterdam/il y a des marins qui boivent/et qui boivent et reboivent/et qui reboivent encore/ils boivent à la santé... (Jacques Brel)
Le reportage date du mois de novembre mais il reste intéressant ; Vous pouvez le trouver à cette adresse :
Accueil - 13 heures 15 - France2.
Dans ce J.T., on plante tout d’abord le décor : les marins pêcheurs et leur univers professionnel pénible et exigeant, (5 jours/semaine sur un bateau, conditions de travail extrêmes, peu de sommeil…). Un lien est établi entre cette profession difficile et l’augmentation de l’usage de drogues dans ce milieu, qui serait un moyen de supporter cette pénibilité et servirait également de «défouloir» le week-end. Puis vient le témoignage touchant d’un jeune homme, Mathieu, fils de Marin Pêcheur et Marin Pêcheur lui-même, accro au cannabis depuis plusieurs années, présentant un début de consommation à 14 ans et une moyenne actuelle de 10 joins par jour l’empêchant de reprendre la mer. Il évoque le cannabis comme «une drogue douce mais dangereuse». Puis il parle de sa décision de se faire soigner, sa crainte de toucher un jour aux drogues «dures» telles que l’héroïne ou la cocaïne. Voilà en quelques lignes le contenu de ce reportage.
Je regrette déjà deux choses :
1/ Le journaliste nous explique «qu’en raison de l’augmentation des consommations de drogue, des dépistages vont être effectués». Oui, d’accord ! Mais qui a constaté cette augmentation ? Cela repose-t-il sur des statistiques scientifiques établies ? Des constats, (forcément subjectifs), de la population ?... Puis, comment vont s’opérer ces dépistages, et par qui vont-ils être effectués ? Médecins Généralistes ? Médecins du Travail ?... Quelles conséquences éventuelles en cas de résultats positifs ? J’imagine bien les exigences de format d’un reportage dans un J.T., mais je trouve dommage d’avoir raté cette marche.
2 / Le témoignage touchant de ce jeune homme reste néanmoins très superficiel, et c’est bien regrettable. Mais tout cela est peut-être stratégique, à savoir, nous amener à regarder le reportage du lendemain, ce que je me suis empressé de faire. Là encore, quelle déception, teintée parfois d’un peu de colère… Le métier difficile de Marin Pêcheur, (que je ne conteste nullement), est mis en avant pour expliquer au mieux l’abus de certaines substances, au pire la descente aux enfers, l’accrochage et la dépendance au cannabis pour l’un, à l’héroïne pour l’autre. L’entrée en matière est particulièrement… «fumeuse» ! Je cite : «Les Marins Pêcheurs ont la réputation d’être de solides piliers de comptoirs». Et là, rien ! Pas un mot sur ce que serait cette réputation. Au risque de me faire des ennemis, pour moi un «pilier de comptoir» est le plus souvent un alcoolo dépendant. Pas un mot sur le lien à ce produit. Combien de Marins sont en difficulté avec l’alcool ? Il aurait été indispensable de s’y arrêter un instant pour comprendre ce phénomène d’addiction chez ces professionnels, qui, peut-être, à tendance à évoluer, en passant progressivement de l’alcool au cannabis ou à l’héroïne, les générations actuelles ayant un accès plus facile à ces produits.
Vient ensuite ce qui m’insupporte le plus : «La drogue dure, (le cannabis), a remplacé l’alcool… Cette drogue tue nos enfants». Bien évidemment, je peux comprendre la colère de ce pauvre père de famille dépassé par les évènements ! Mais laisser sous-entendre que le cannabis serait une drogue dure et par conséquent l’alcool une drogue douce, est, au mieux, une contre information, au pire, cela véhicule un message dangereux où finalement, consommer de l’alcool ne serait pas aussi toxique qu’on peut le supposer. C’est oublier deux choses :
1/ L’alcool tue 45 000 personnes par an, (par accident ou maladie imputable au produit). C’est une vraie drogue, qui rend très vite et très fortement accro. 5 millions de français sont soit en mésusage, soit dépendants… Je m’arrêterai ici concernant ce produit, car la liste de ses dangers est bien trop longue à évoquer, et là n’est pas le propos…
2/ L’autre point consiste à continuer à résonner en drogue dure et drogue douce. Depuis longtemps, ce concept ne vaut plus, et s’y référer peut porter un message potentiellement contreproductif : une drogue douce ne serait pas ou peu dangereuse.
Pour terminer je ne peux m’empêcher d’exprimer mon désaccord sur le lien qui est établi entre pénibilité d’une profession et toxicomanie. Il reste, à mon sens, un raccourci bien rapide, car autant peut-on en parler comme un facteur favorisant la prise de toxiques, autant il est nécessaire, voire obligatoire, d’évoquer la fragilité de l’individu et son environnement familial, social…
En résumé, tous les Marins Pêcheurs ne sont pas, heureusement, toxicomanes, sous prétexte de la pénibilité de leurs professions. S’il est possible de rencontrer des mésusages et des excès en raison de celle-ci, affirmer qu’elle génère par elle-même une augmentation d’individus dépendants de toxiques dans cette profession est un pas que je ne franchirai pas. D’autant qu’il serait intéressant de se pencher sur cette notion de pénibilité : quid de la pression des Cadres Supérieurs de certaines Entreprises, de la pénibilité «psychique» de certains métiers, etc… Il est également regrettable ne pas avoir eu le point de vue d’un addictologue en place dans cette région, qui aurait permis d’avoir un regard professionnel et le recul nécessaire sur l’évolution des consommations et des différents produits.
Justifier la prise de toxiques par la pénibilité des conditions de travail de certaines professions reste extrêmement réducteur. Elle peut certes en être un facteur favorisant mais en aucun cas la seule et unique explication.