Laurent F. (*) a 40 ans. Il a vieilli très vite. Son visage est marqué, non par les clichés de l'alcoolique boursouflé, mais par des rides multiples et profondes qui témoignent d'une vie chaotique, semée de souffrance et de traumatismes plus que de joies et de bonheur.
Il a commencé l'alcool jeune, très jeune. A 12 ans, il finissait les fonds de verre laissés là par des adultes déjà ivres, cela les faisait même rire de voir cet enfant saoulé par ses quelques gorgées. A 14 ans, il a trimballé dans son cartable des bouteilles de coca coupé avec du whisky. A 16 ans, l'école n'a plus voulu de lui, l'alcool avait déjà remplacé les copains du collège, il le faisait rire ou pleurer, le réveillait le matin et l'assommait le soir...
Son père est "parti" quand Laurent a commencé le C.P., épuisé par un coeur malade d'un trop plein de boissons et de cigarettes... Sa mère s'en sert pour tenir, tenir dans ce bar où elle travaille et s'enivre avec les clients, ce bar où, gamin, il passait la plupart de ses soirées et ses week-end. Les "piliers de comptoir" étaient son univers, et le vin, son compagnon du quotidien. Sans diplôme, il a enchaîné les petits boulots, ne pouvant rarement tenir plus de 15 jours. Il a essayé, essayé encore de construire sa vie, de créer une famille, de "garder une femme", de vivre tout simplement..., arrivant juste péniblement à survivre.
La boisson a pris, insidieusement, de plus en plus de place. Des quelques fonds de verres, il a bu de plus en plus. "L'habitude" aidant, il lui fallait quantité de verres puis de bouteilles pour soulager son manque, non pour s'enivrer, mais seulement ne plus avoir mal d'être en manque. Il ne savait plus depuis longtemps ce qu'était l'alcool "festif", le liquide lui était devenu aussi indispensable que de respirer...
Quand il est arrivé dans mon bureau après 20 ans de galères, poussé par des comas éthyliques à répétition et trop de passages aux urgences, il consommait quotidiennement 10 litres de vin blanc par jour. Il devait en absorber dés le réveil pour stopper les vomissements, les diarrhées et les tremblements que lui infligeait le manque. Puis les journées étaient rythmées, non par les heures qui s'écoulaient, mais par le nombre de bouteilles qu'il devait ingérer, jusqu'à s'écrouler le soir d'épuisement d'un trop plein de vin, se réveillant chaque matin sans aucun souvenir des soirées de la veille. Son corps et sa tête ne lui appartenaient plus, l'alcool "avait pris les commandes". Le vide s'était fait autour de lui. Ses excès ont épuisé sa famille, ses compagnes, ses amis, les seuls présents encore comme "copains" de beuverie...
Il voulait s'arrêter ! Mais comment faire ? Envisager une seule journée sans alcool lui était inimaginable et lui faisait encore plus peur que de continuer à s'enivrer... Sa vie d'adulte n'avait de réalité que celle donnée par le prisme de la boisson. Le chemin va être long..., mais il en existe un et l'essentiel pour moi ce jour-là a été de lui en faire prendre conscience.
Ce "témoignage" n'est pas tiré d'un roman de Zola et n'est pas fait pour faire pleurer dans les chaumières. Il traduit seulement le quotidien de milliers d'hommes et de femmes en France qui ne feront jamais la une de nos quotidiens, car ils leur restent encore ce que l'on nomme la pudeur.
Quelle place peut avoir la volonté dans cet enfer si ce n'est qu'initier le début d'une prise en charge... ?
(*) Prénom d'emprunt