L'affaire Carlton, un procès vintage déjà collector

L'affaire Carlton est un procès vintage. On y retrouve des pratiques collector de maquereaux rusés, de clients décomplexés, et de prostituées. Les personnages y sont hauts en couleurs, mais des couleurs d'une autre époque. Les paroles échangées sont du registre du libertinage propres à l'univers des "partouzes" et des "boîtes coquines". Quand on écoute Dodo, on est propulsé devant un film de cul vintage avec des filles aux vagins touffues.

 Aujourd'hui, on ne parle plus comme ça, on ne fait plus ça. On a tout repeint. On ne parle plus de "matériel" ou de "cheptel" ramassé sur le trottoir, mais "d'escort girl" qui vendent leurs charmes sur les réseaux sociaux. Les hardeuses deviennent des pornstars ou des animatrices radio On ne dit plus "capotes" mais "condoms". On n'utilise plus de godes, ni de poupées gonflables, mais des plugs et autres sextoys. Les sexodromes et peep show de Pigalle sont devenus des musées ringards pour Japonais. Les sex-shops poussiéreux et collants des zones rouges cèdent leur place aux lovestores proprets ; on s'y rend en couple. Avant les femmes âgées ne baisaient pas, maintenant elles sont couguars ou "MILF" (mother I'd like to fuck).

Avant le sexe était odorant, sale et dangereux. On se refilait des "galanteries" comme des cadeaux. Maintenant, tout est aseptisé. Les préservatifs et les gels sont des "dispositifs médicaux". Et les infections regroupées sous l'appellation globale M.S.T. Les derniers lubrifiants sont sans éthanol, bons pour la peau et agrémentés high-tech : ils servent à l'hydratation des orifices et à la glisse des corps.

Les figures ont évolué aussi. Avant on parlait des galipettes de Sade avec des vits, des cons et des corps pêle-mêle. Maintenant, tout est dicté par les rubriques de YouPorn. On y voit des bifles (gifle infligé avec le pénis), des DP (double pénétration) et des éjac' faciales, pour le plan final. Les partouzes ou l'échangisme c'est bon pour les vieux pervers boostés au viagra et les couples en manque de piment. Aujourd'hui, on organise des gang-bang. Et c'est la femme, consentante, qui est au centre des ébats. Si on soupçonne un viol collectif, on dit "tournante" et on pense plutôt aux caves des HLM des cités. Et quand la partouze est bling bling, en hommage au maître des cérémonies Berlusconi, on dit : "Bunga bunga !"

Alors forcément, dans l'affaire Carlton, on se rapproche pour "voir ce que c'était." Surtout que les chefs d'accusation tombés, DSK a priori blanchi et Dodo a priori condamné, on assiste probablement aux dernières représentations.

Dodo La Saumure est tellement pittoresque qu'on croirait une blague. Ce type a la gouaille et la tête de son surnom. La plupart des prévenus ont cherché à habiller leurs pratiques. Dodo y va franc jeu. A la cour, il présente son activité (il est officiellement tenancier de "maisons de débauche" en Belgique) comme n'étant "ni de la broderie ni une épicerie". Il parle de ces prostitués comme de "filles au Q. I. de 25". C'est le maquereau sympa au rire gras, mais qu'on imagine en coulisses dresser ses filles à coups de tringles. DSK parle de "matériel" dans ses SMS. Dodo compare ses femmes à du "cheptel" et les appelle "négresses" quand elles sont noires. "C'est comme ça qu'on parle des filles, M. Alderweireld ?" le gronde le président Bernard Lemaire. "Oh ! j'suis comme ça, monsieur le président, j'ai le sens de la dérision, j'arrête pas de plaisanter. J'fais d'l'Audiard."

Quant à DSK, il n'est plus aux yeux du public l'ex-patron du FMI. Depuis l'affaire Sofitel, on n'y pense plus. Dans ce procès, il est tel un notable de la Belle Epoque qui va voir ses courtisanes en haut de forme. Elisabeth de Pourquery, la dessinatrice du procès, le voit ainsi : "Tout le monde connaît ses gros sourcils, mais il a des gestes bien à lui, des expressions particulières, des paupières qui tombent. On dirait un monsieur de la IIIe République. Il faut camper cette expression-là, et il ne faut pas oublier son air coquin." Nous voilà ainsi ramenés au passé, à Toulouse Lautrec, au Moulin Rouge, aux Folies…

A cette époque, il y avait les notables de quartiers et les putes ramassées sur le trottoir par les rabatteuses, puis dressées par les maquereaux. Deux mondes qui se mélangeaient en maisons closes pour ensuite revenir à leurs condition. Dans l'affaire Carlton, on est tour à tour dans une "garçonnière" du XVI, au Carlton de Lille, au W. à Washington, c'est le décor des orgies sexuelles. Mais avec les putes et maquereaux à la barre, on se voit aussi "chez Béa", la maîtresse de Dodo la Saumure, et tenancière de la maison close "Le 36", à Tournai, en Belgique. On est dans les "boîtes coquines" et les "clubs échangistes". Jade est "courtisane" pour les orgies, mais son surnom est un "nom de rue".

Dans ce jeu social, les mots crus et les métaphores grivoises fusent dans un wording bien codé. On dit tantôt "matériel", tantôt "courtisane", tantôt "boite coquine", tantôt "bar à putes", tantôt "partouzes", tantôt "partie fines". Selon le contexte, les femmes publiques sont dites "péripatéticiennes", pratiquantes du "sexe tarifé", putes, cheptel, grues sans cervelle… Mais choisi ou ordurier, tout ce vocabulaire est bien du passé. C'est un jeu d'apparence, pourvu que ça s'entremêle. DSK veut que ses parties fines soient "joyeuses". Dodo fournit les filles de joie.