Drapeau européen : une polémique à douze étoiles

Et rebelote. Quelques mois après s’être emporté contre la présence du drapeau européen à l’Assemblée nationale, Jean-Luc Mélenchon s’est à nouveau attaqué à ce sujet fondamental, par députés interposés puisque des élus de son groupe La France insoumise (LFI) ont présenté en commission des lois un amendement dans lequel on pouvait lire que « seuls peuvent être présents dans l’hémicycle le drapeau tricolore […] et le drapeau de l’Organisation des Nations unies».

Sur son blog, le député va jusqu’à affirmer que le peuple français aurait voté « contre son adoption sans ambiguïté » lors du référendum sur le traité constitutionnel de 2005. « Le refus [de ce texte] dans lequel cet emblème était proposé, vaut décision du peuple français sur le sujet », conclut le député de Marseille. Il faut avoir un certain sens de l’exagération pour estimer que les Français avaient la symbolique du drapeau en tête au moment de se prononcer sur le traité européen en 2005, mais passons.

Si le texte a été rejeté par la commission, le sujet n’est pas nouveau : par le passé d’autres ténors politiques comme Nicolas Dupont-Aignan avaient déjà réclamé que la bannière européenne soit retirée des bâtiments publics, pour des raisons surtout liées à leurs convictions souverainistes. En Europe, Matteo Renzi l’avait récemment fait retirer lors de ses prises de paroles à la télévision, pour marquer une certaine prise de distance avec Bruxelles. En France, le drapeau ressurgit de loin en loin depuis que Nicolas Sarkozy a posé devant sur sa photo officielle, en 2007, et que François Hollande l’a installé à l’Assemblée nationale et au Sénat pendant son quinquennat.

"Emblème confessionnel"

Cela étant, l’argument avancé par le groupe des Insoumis et par Jean-Luc Mélenchon est différent. Ce n’est pas tant pour protester contre le poids des institutions européennes qu’ils se sont lancés dans ce combat que pour dénoncer « un emblème confessionnel » - le mot est de Jean-Luc Mélenchon lui-même, dans un tweet du 11 octobre. Sur son blog, le député s’y oppose au nom de la laïcité, « à l’heure où plus que jamais religion et politique doivent être séparées ».

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Un emblème confessionnel donc, au même titre que le crucifix chrétien, le croissant de l’Islam, l’étoile de David juive ? C’est peut-être pousser un peu loin l’analyse des symboles, mais jugeons sur pièce : pourquoi diable [1] voir de la religion dans un drapeau qui montre un cercle de douze étoiles dorées sur un fond bleu ?

Les raisons de la colère

Pour savoir où Mélenchon puise son analyse, il faut revenir à sa première prise de parole sur le sujet, lors de son entrée dans l’hémicycle, le 20 juin dernier. Fraîchement élu, le nouveau député de Marseille entre dans l’assemblée et commente ainsi la présence du drapeau de l’UE : « on est obligé de de supporter ça ? C’est la République française ici, c’est pas… la Vierge Marie. » L’ancien candidat fait en fait allusion à la source d’inspiration de l’artiste à l’origine du drapeau.

Retour arrière : en 1950, le Conseil de l’Europe décide de se doter d’un symbole pour représenter l’idée européenne, dans l’idée de porter « les valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun des peuples qui le composent », rien que ça. Après plusieurs projets rejetés, c’est un obscur fonctionnaire du Conseil, Arsène Heitz, qui remporte la timbale avec un drapeau que chacun connaît bien aujourd’hui : un fond bleu, sur lequel douze étoiles jaunes forment un cercle.

Rien que très classique : le 12 est un chiffre associé depuis longtemps à la régularité et à l’équilibre (les heures du jour et de la nuit, le zodiaque…), le bleu est une couleur souvent associée à la paix (c’est celle qu’a choisi l’ONU), les étoiles portent souvent un message d’espoir et le cercle qu’elles forment renvoie depuis la nuit des temps à une idée de plénitude et de perfection.

Pour s’agacer, Mélenchon a dû aller chercher plus loin – non plus en 1955, date de l’adoption du symbole, mais en 1989, lorsque Arsène Heitz – fervent catholique – explique dans la revue Magnificat, qu’il a puisé son inspiration dans une représentation de la Vierge, souvent associée à la couleur bleue depuis Moyen Age sur fond bleu et parfois représentée avec un cercle de douze étoiles au-dessus d’elle, comme ci-dessous.

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Un point pour Jean-Luc Mélenchon : oui, le créateur du drapeau européen a trouvé une source d’inspiration dans l’imagerie religieuse chrétienne. Reste que confondre source d’inspiration et « symbole confessionnel » relève au mieux de l’exagération et au pire de la mauvaise foi, ne serait-ce que parce que les responsables européens n’en avaient pas la moindre idée. Ou parce que le drapeau en question était initialement destiné au Conseil de l’Europe et non à l’Union européenne dont l’ancêtre, la CECA, avait son propre drapeau depuis 1952.

Des symboles à toutes les sauces

C’est tout le problème d’un continent comme l’Europe. Après quelques millénaires d’histoire, tout symbole a nécessairement pris des sens variés à force d’être utilisé dans tous les contextes, religieux ou laïc, politique, romanesque… Le nombre 12 peut renvoyer à Héraclès comme aux apôtres, le bleu évoquer l’eau froide, le culte de Marie ou le sang de la noblesse, et les étoiles à cinq branches évoquer le Texas, l’espéranto, voire le communisme ou… Dragon Ball. Bref, tout symbole est polysémique et peut représenter plusieurs idées ou plusieurs concepts. Une sidérante révélation que n’importe quel étudiant d’histoire ou d’histoire de l’art découvre à son premier cours d’histoire des symboles.

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Encore un symbole confessionnel.

Le drapeau de la ville de Marseille, où Jean-Luc Mélenchon a été élu député, en est la première preuve : la croix d’azur qui s’y découpe sur un fond blanc date du Moyen Age et reprend l’emblème affiché par les ports d’où partaient les Croisés pour l’Orient… On a vu plus laïc mais Jean-Luc Mélenchon s’est étrangement bien gardé de proposer aux Marseillais de retirer cet emblème pourtant si connoté.

Mais le plus ironique est ailleurs : dans leur amendement, les députés insoumis évoquaient la possibilité de remplacer le drapeau européen par celui des Nations-Unie, représenté ci-dessous.Le gag ? La carte du monde y est entourée de deux rameaux d’olivier. Soit un signe on ne peut plus religieux, que ce soit dans la mythologie grecque – c’est l’arbre d’Athéna – ou dans la tradition chrétienne : c'est un rameau d’olivier que la colombe ramène dans son bec à Noé pour lui annoncer la fin du déluge...

Bref, Jean-Luc Mélenchon propose de remplacer un symbole (très) vaguement chrétien par un autre symbole (très) vaguement chrétien.

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[1] Oups.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu