Mais pourquoi n'y a-t-il pas de péage urbain à Paris ?

Pic de pollution et vieilles recettes

Comme l'an dernier à la même époque, conditions météo, transports, production d'énergie et épandages agricoles se conjuguent pour provoquer un pic de pollution dans le nord de l'Europe, touchant en particulier Paris. Comme l'an dernier, la discussion et les mesures prises se focalisent sur le trafic automobile et la circulation alternée. Trop tôt ? Trop tard ? le nez dans le guidon, on a plus tendance à avoir des réactions hystériques que raisonnables et on risque de ne voir que l'arbre qui cache la forêt. C'est la garantie, lors du prochain pic, d'avoir encore une fois les mêmes débats sans progresser.

Il y aurait pourtant un moyen de réduire efficacement la pollution parisienne et les embouteillages, qui éviterait ces débats récurrents et ces mesures brouillonnes : c'est la mise en place d'un péage urbain à Paris. Revue des arguments pour et contre.

Comment ça marche?

L'inventeur de l'idée d'un péage urbain est le prix Nobel d'économie William Vickrey dans les années 50. Le principe consiste à considérer qu'embouteillages et pollution ont la même origine : les automobilistes utilisent des ressources (l'espace urbain, l'air respirable) sans payer cet usage. Il en résulte une surconsommation, un trafic excessif, causant bouchons et pollution. La solution consiste à faire payer l'entrée en ville - idéalement avec un prix variable, qui augmente en période de pollution élevée ou aux heures de pointe.

Cela était difficile à mettre en place ailleurs que sur des axes particuliers ou des infrastructures (autoroutes, ponts); mais progressivement, le progrès technique (caméras lisant les plaques d'immatriculation, transpondeurs dans les véhicules) a permis la mise en place de systèmes de ce type dans diverses grandes métropoles : Singapour, Londres, Stockholm, Milan, entre autres, ont mis en place des systèmes de ce type. Certaines villes font payer à la journée, d'autres par trajet avec un plafond quotidien, certains véhicules sont exonérés, et l'étendue géographique couverte par le système de paiement varie. Les recettes sont parfois (mais pas toujours) affectées à la réduction des prix des transports en commun.

Pourquoi ça marche ?

S'il s'agit seulement de réduire le nombre de véhicules circulant en ville, les mesures administratives type circulation alternée peuvent fonctionner. Mais le péage urbain présente un gros avantage, qui est de décentraliser la décision de circuler ou non, de la faire dépendre des choix individuels plutôt que de l'arbitraire ou du hasard (comme le caractère pair ou impair de la plaque d'immatriculation). Ce sont les gens qui décident si leur trajet vaut la peine de payer. Telle personne considérera qu'aller assister au concert qu'elle a réservé depuis des mois justifie de payer pour entrer en ville, ou que son travail exige d'aller en ville en s'y déplaçant en voiture. Telle autre choisira de reporter son après-midi de shopping, ou de travailler depuis son domicile. Le covoiturage est facilité (plus besoin de chercher quelqu'un qui a un "bon" numéro de plaque).

Plutôt qu'une autorisation préfectorale octroyée par fait du Prince, le péage urbain régule la circulation par un prix dont les déterminants peuvent être fixés à l'avance : on peut très bien imaginer que le prix augmente automatiquement lorsque le taux de pollution dépasse un certain niveau. Le péage peut être plus élevé aux heures de pointe prévues à l'avance.

Quels sont les inconvénients ?

Ces systèmes sont très impopulaires. De nombreuses villes ont renoncé à mettre en place de tels systèmes suite à référendum local dans lequel une écrasante majorité de la population s'y opposait : les gens détestent que ce qui était gratuit auparavant devienne payant, et les nouveaux impôts. On reproche aussi souvent à ces systèmes d'être inégalitaires : les riches peuvent payer le péage, pas les pauvres. En pratique, les gens qui résident en dehors du centre-ville, là où les transports en commun sont moins présents, sont pénalisés. En fonction de la tarification choisie, de la zone couverte par la taxe, l'effet sur la pollution et les encombrements peut être faible si la taxe ne fait que déplacer le trafic routiers vers les axes non payants.

Ces inconvénients sont réels mais peuvent être nuancés. Les réticences de la population peuvent être réduites en expérimentant le système pendant un certain temps. C'est ce qui s'est produit à Stockholm : la ville a mis en place son péage urbain, dont les recettes finançaient des lignes de bus supplémentaires. Au bout de quelques mois, un référendum a été organisé : fallait-il revenir comme avant (supprimer les nouveaux bus et le péage) ou continuer ? à une courte majorité, les électeurs de la ville ont voté pour maintenir la taxe. Sans l'expérimentation, elle n'aurait probablement jamais eu la majorité. L'expérimentation permettrait aussi de bien calibrer le système pour réellement réduire la pollution et les encombrements, en fixant le tarif et la zone couverte par essai et erreur.

Les critiques sur le caractère inégalitaire du système négligent un facteur : la situation actuelle est déjà inégalitaire. Ce ne sont pas les plus pauvres qui ont une voiture et se déplacent en ville avec. Le système actuel revient à ce que les automobilistes bénéficient gratuitement des routes, en faisant payer cet usage gratuit par tout le monde sous la forme de pollution accrue et d'embouteillages. La circulation alternée avantage les ménages aisés qui peuvent se payer deux voitures. Le péage urbain, de son côté, revient à faire payer les plus riches automobilistes pour financer le développement de transports en commun dont les moins riches peuvent bénéficier : quel est le plus injuste?

Une bonne partie des critiques faites au péage urbain relèvent du biais du statu quo : accorder trop de valeur à la situation existante, plus familière. La répétition des pics de pollution devrait pourtant appeler à réfléchir à d'autre solutions, à s'inspirer de ce qui fonctionne ailleurs.

Pourquoi on ne l'a jamais fait en France ?

Le péage urbain est un serpent de mer qui revient régulièrement dans le débat public en France, sans être suivi d'effets. Les élus n'ont pas voulu prendre le risque de l'impopularité de la mesure, ou ont reculé devant les difficultés techniques. Mais il y a une raison plus trouble. Le péage urbain revient à légitimer la présence de la voiture en ville, dès lors que l'usager paie pour sa présence. Si ses recettes sont affectées aux transports publics, cette légitimé est d'autant plus forte : s'il n'y a plus de voitures en ville, les transports collectifs sont menacés.

Et ce n'est pas l'orientation des politiques actuelles en matière de transports. Comme le relève Denys Bergrave, celles-ci sont déterminées par un absolutisme dont l'objectif est l'exclusion progressive de la voiture de la ville. Le péage urbain va à l'encontre de cette optique; les pics de pollution, par contre, y contribuent, surtout lorsque la discussion se cantonne aux effets de la circulation automobile. L'absolutisme n'a que faire des solutions imparfaites, mais réalistes.