Médias et Terrorisme : Comment Informer sans Glorifier ?

 

Les attentats de cet été ont relancé le débat sur le traitement médiatique du terrorisme. Certains médias ont décidé de ne plus publier les photos des auteurs d’attentats ou même leurs noms, quand d’autres, ont choisi le cas par cas.
« Votre Télé et vous » consacre son émission de rentrée à cette thématique.
Comme à chaque émission, une réflexion sur le traitement de l’information est menée par nos « guetteurs »; un réseau de téléspectateurs intéressés par l’info que nous sollicitons régulièrement. Leurs remarques sont toujours d’une aide précieuse dans la préparation de l’émission et vous pouvez ici lire leurs contributions.

« Bonjour Marie Laure, en ce qui concerne le thème de la prochaine émission, voici quelques réflexions.
Tout d'abord, je suis très pessimiste quant à l'évolution de l'information télévisée de plus en plus soumise au diktat de l'audimat. C’est pour cela que je me réjouis de la création de la nouvelle chaîne "France info" et de la présence en son sein de Radio France.
Que montrer des actes de terrorisme?
Un compte-rendu factuel et chronologique des attentats me paraitrait suffisant. Citer le nom des djihadistes et leur parcours et s'en tenir à cela. Montrer leur portrait sur une photo d'identité et non dans leur vie privée.
Qu'occulter?
On ne doit publier aucune image de propagande, ni de revendication.
On ne doit pas les voir dans les minutes précédant leurs massacres. Sans aller jusqu'à ne citer que leurs initiales, s’en tenir à l'essentiel.
Où s'arrête l'info?
L'info s'arrête quand on rentre dans le pathos ou l'émotion. Les médias doivent surtout éclairer, aider à décrypter l'évènement.
Le voyeurisme commence avec les pleurs des proches. Il faut parfois savoir parler de l'horreur sans la montrer. Il ne s'agit pas de gommer ou de lisser tout ce que ces actes ont d'horrible, mais de s'en tenir aux faits bruts. » Jean-Noël

« Faut-il ou non publier les photos et les noms des auteurs des attentats ?
C’est une question qui touche vraiment à l‘éthique, à la déontologie.
La France est un pays qui n’était pas préparé à vivre en permanence dans un contexte marqué par le terrorisme.
Publier le selfie d’un terroriste hilare (Mohamed Merah dans sa voiture à Toulouse) ou en train de sourire ou rire (terroriste de Nice), peut être perçu comme une ultime provocation par les familles ou les proches des victimes décédées, à cause de l’horreur des actes perpétrés.
Publier les noms peut aussi nuire à l’entourage familial (parents) des terroristes qui ne sont parfois pas responsables de la dérive criminelle de leurs enfants, et engendrer stigmatisation et menaces envers ceux qui portent le même nom qu’un de ces terroristes.
Il faut à mon sens privilégier le cas par cas. En fonction des médias aussi. La problématique n’est pas tout à fait la même pour un quotidien ou une chaîne d’information.
Le cas de l’interview de l’homme dont l’épouse décédée était encore allongée auprès de lui m’a profondément choquée. Sans vouloir porter un jugement, comment est-il possible de réaliser une telle interview ? Comment est-il possible d’avoir envisagé même de la diffuser ?
Une approche suffisamment distanciée et raisonnée devrait permettre de trouver le ton juste et approprié. L’information en boucle avec matraquage des identités et diffusion des photos des terroristes n’apporte rien à nos concitoyens, sinon, un climat anxiogène qui se ressent après chaque attentat.
Certains considèrent aussi que c’est une publicité gratuite, une information inutile, pourvoyeuse de notoriété posthume pour les terroristes, utilisable par les recruteurs du djihad pour leur stratégie de communication, ou tout simplement par les mouvements fondamentalistes. On élèverait les tueurs de masse au rang de célébrités. A mon avis, le web et les réseaux sociaux via les vidéos sont de bien meilleurs recruteurs, beaucoup plus efficaces auprès des jeunes.
D’autres à l’inverse estiment que la rétention d’informations disponibles sur les tueurs-terroristes alimenterait un climat propice aux théories du complot.
Renoncer à informer certainement pas, mais autrement, oui : à travers le filtre de l’éthique. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les téléspectateurs sont demandeurs d’une information plus réfléchie et non induite par des réactions épidermiques. Le droit à l‘information mais avec le respect de l’être humain concernant les victimes et leurs familles. C’est une réflexion qui est amorcée et doit absolument se prolonger. Les médias en ressortiront grandis, leur crédibilité aussi » Elisabeth

« Bonjour Marie-Laure,
Sur les questions que vous posez, je pense qu'on peut adopter deux points de vue :
- d'une part on peut se demander ce qui est acceptable. Il est clair que, comme pour tout évènement dramatique, il y a des choses qu'on ne peut montrer...Ce n'est pas toujours simple de réfléchir dans l'urgence, et c'est pour ça qu'il est nécessaire de faire cette réflexion en amont, comme vous le faites avec cette émission.
- d'autre part, on peut essayer de se placer du point de vue des terroristes, pour voir si ce que nous faisons va dans le sens de leurs intérêts ou non.
Les terroristes de l'EI disposent de leurs propres canaux d'information. Tout au plus peut-on ne pas mentionner trop souvent le nom des assassins, ne serait-ce que pour éviter de donner une incitation à ceux qui recherchent sinon la gloire, au moins la célébrité.
Mais on peut éviter tout ce qui risque d'envenimer les relations entre les "communautés". Déjà éviter de parler de Français-Musulmans. Pour moi on est Français ou on ne l'est pas, il y a une définition légale et c'est tout. Il n'est pas nécessaire, et même dangereux de demander aux musulmans de s'excuser ou de condamner d'une manière particulière ces actes. S'ils condamnent, c'est en tant qu'êtres humains, pas en tant que musulmans » Xavier

« Bonjour Marie-Laure,
Cette question de l'information sur les attentats est importante mais les réponses ne sont pas évidentes.
Il est certain que les noms des auteurs permettent à leurs commanditaires de les glorifier auprès de leurs membres. Avec le prénom c'est moins vrai.
Pour les photos c'est le même processus qui est même accentué.
Pour ma part, ne pas donner les noms ainsi que les photos serait préférable.
Pour le reste, l'information minimum. C'est la répétition de certains médias qui accentue le malaise qui à mon avis est à éviter.
Ensuite, ce sont les mots employés, les détails autour, plus que les faits qui peuvent faire la différence. Montrer que ce n'est pas toute une religion, une population qui en est responsable. Que ce sont des individus et une organisation de terroristes et rien d'autres » Marcel

« Bonjour Marie laure,
en principe il faut tout dire tout montrer. Je pense toujours aux images de la libération des camps en avril/mai 1945 ou l’on ne se posait pas la question alors. Il s’agissait de montrer l’étendue des crimes nazis et l’image et les noms des bourreaux étaient au contraire largement diffusés.
D’un autre côté le voyeurisme s’est propagé grâce à internet, ainsi que l’apologie du terrorisme. Pas facile, j’en conviens, pour les journalistes de trouver la voie médiane. En dehors de la préservation des enfants et des mineurs d’images traumatisantes, il me semble nécessaire d’édulcorer le moins possible l’information. Penser que donner les noms et montrer les visages des terroristes risque d’en faire des martyrs est assez consternant sur la vision qu’ont les médias de la maturité des citoyens.
Pour quelques fanatiques susceptibles de récupérer ces actes, pour une partie de l’opinion qui risque de passer au racisme, faut-il se taire et édulcorer l’info ?
Je pense qu’il faut informer au maximum, décrypter, éviter les amalgames, mais en dire et en montrer le plus possible.
Si au final, nous ne faisions plus confiance à la conscience de nos concitoyens (c’est vrai que parfois on a de sérieux doutes), ce serait une sérieuse mise en cause de la liberté d’informer. Alors je préfère encore un excès de liberté à une réduction » Jean-Michel

« Quelques éléments de réflexion.
En préambule, je relève la difficulté de traiter à chaud de sujets aussi émotionnels (et légitimement émotionnels). Il me semble qu'il faut distinguer ce qui relève de la couverture de l'immédiateté (flash spécial) de ce qui relève d'une analyse posée et de plus long terme.
Les sujets liés au terrorisme ne sont pas traitables de façon raccourcie et immédiate : ils demandent du temps et des précautions.
Il est important de rappeler que les populations civiles en Syrie ou en Irak vivent une peur quotidienne et sous les bombardements, mais que ces attaques et ces menaces sont d'abord le fait des exactions de Daech ou de groupes terroristes dans la zone. S'il y a des bombardements par les forces alliées, c'est justement en raison des atrocités commises par ces groupes.
Sur ce qui est de l'utilisation des images, je ne suis pas favorable à une position dogmatique du type tout montrer/ne rien montrer. Nous devons faire confiance au professionnalisme des journalistes pour trouver une juste appréciation : c'est aussi le rôle des rédactions d'avoir ce débat collectif et de mesurer les conséquences éventuelles d'un tel choix, quitte à se tromper. J'insiste une fois encore sur ce sujet, mais cela demande du temps et de la discussion pour éviter les amalgames et les raccourcis.
Je suis très réservé sur l'usage d'images "choc" qui ne font qu'alimenter peur, panique et ressentiment. Je ne prétends pas qu'il faille cacher la réalité, mais par exemple montrer des corps sous des draps lors des attentats de Nice n'apporte rien. Il suffit d'évoquer le nombre de morts et de rendre compte de la réalité de la situation par des mots.
Je suis également très réservé sur la présence désormais systématique "d'experts" qui analysent à vif le mode opératoire. Face à de tels événements, la réponse immédiate doit être avant tout factuelle et précise. Inutile de conserver l'antenne en continu pour ne rien dire.
En ce qui concerne les noms des terroristes : dès lors que les autorités judiciaires ou les forces de l'ordre les communiquent, il me semble que cela devient une information publique et utilisable. Je trouve en revanche que les reportages retraçant la vie des auteurs d'attentats avec l'interview du voisin ou de la mère d'un ami d'enfance...sont au mieux de mauvais goût, au pire du voyeurisme.
En conclusion, je dirais que l'horreur n'a pas besoin d'être montrée dans sa plénitude. L'information repose d'abord sur une transmission rigoureuse et complète des éléments factuels, complétée ensuite par une analyse de fond, Espérant avoir contribué à votre réflexion, Bien cordialement » Clément

« Bonjour, voici ma contribution : Que monter ? Qu’occulter ?
Pour ma part, je suis d’avis de ne pas montrer de photos et de ne pas donner de noms. Uniquement la nationalité, le sexe, l’âge, à la limite on peut imaginer le visage flouté. L’information s’arrête là où elle n’apporte rien au traitement de l’évènement comme un nom et une photo à visage découvert.
Il faut faire en sorte que leur mort n’apporte rien qui puisse les mettre en avant.
Je n’ai pas besoin de connaitre le nom ou voir le visage d’un terroriste pour être informé!
Montrer l’horreur ou la gommer parce que la réalité est trop dure ? Je suis plutôt d’accord pour montrer la réalité tant qu’elle ne risque pas de mettre en avant une victime ou un terroriste. Là encore montrer le sang pour le sang, ça n’apporte rien au traitement de l’information ! » Pascal

« Bonsoir Marie Laure, quel sujet vaste pour la reprise!
Personnellement, je ne veux pas connaitre les noms et les visages de ces personnes qui ont perdu toute humanité à mes yeux.
J'ai suivi le débat qui a secoué les différentes rédactions.
Je pense que les différents avis se valent.
Voir la tête de ces fous dès qu'on allume la télé est pour moi une sorte de glorification. Même si j'ai lu un bon article de fond qui disait que ce n'est pas le moteur pour eux…On peut se demander si des personnes plus fragiles psychologiquement ne sautent pas la barrière en voyant non seulement le visage mais leur histoire.
Je pense qu’il faut en effet éviter d'employer des photos tout sourire…Et une utilisation des initiales me parait un bon compromis.
On ne peut pas les occulter, mais à moins d'une émission de fond, je ne vois aucun intérêt à connaitre leur pedigree. Je pense aussi à leurs familles qui pour la plupart basculent elles aussi dans l'horreur... Pour moi masquer leur identité revient à leur enlever une part d'humanité.
Je me suis protégé par rapport aux attentats de Nice, ne voulant pas revivre l'horreur du 13/11…J'ai lu ce qu'avait filmé la rédaction de France 2. Et je ne comprends toujours pas. A quel moment un rédacteur en chef se dit : « on va interviewer un homme à côté de sa femme morte"...Là on est en plein voyeurisme. Aucun apport d'informations, juste un rajout de l'horreur à l'horreur. Et un moyen d'attiser les haines déjà là dans notre société.
Les médias vont devoir être très précis dans les prochains mois sur ce qu'ils vont présenter au grand public. Celui-ci ne demande qu'à éclater. C'est une inquiétude pour moi »...Adeline

« En fait, parler des méthodes de diffusion de l’actualité, c'est aussi parler du métier de journaliste, et par suite, de la déontologie du métier de journaliste.
L'information, comme tout le reste - hélas - s'adapte au monde moderne; nous sommes passés du bouche à oreille, à une information structurée, " adaptée " et ...surabondante…
La formule célèbre est : " trop d'infos, tue l'info " !
Alors, que montrer? (On pourrait dire, que montrer pour rester objectif et pour ne pas sombrer dans le sensationnel et dans la course à l'échalote que se livrent les médias ?)
Les images de guerre, ou de terrorisme, deviennent une publicité pour le pouvoir en place, qui ne se gêne pas pour faire savoir, par ce biais, qu'il veille à notre sécurité.
Concernant les images atroces, je pense que c'est une bonne chose que de les censurer; au même titre que les photos et " agissements " des terroristes: leur faire de la publicité, est malsain...
Je pense que les médias devraient porter leurs efforts sur une meilleure information sur les causes de ces drames interethniques et interreligieux; arrêter d'être à la solde des pouvoirs politiques et nous alerter sur les vrais dangers qui guettent notre ancien "art de vivre".
En fait, face à ce monde "moderne et destructeur " que les journalistes nous donnent matière à réfléchir sur les événements : qu'ils nous donnent espoir...? » Patrick

"Faut-il montrer les horreurs?
En espérant qu’on n’aura jamais plus à se poser cette question.
Malheureusement oui…Montrer, pour au moins deux raisons : pour qu'il reste une preuve, et que personne ne puisse un jour nier ce qui c'est passé.
Montrer, car les images marquent, on prend conscience de l'ampleur des dégâts et on réagit.
Le bataclan et le stade de France sont des lieux qui font parti de mon quotidien.
Alors avec les schémas et les explications j'ai pu visualiser. Puis j'ai vu un reportage, avec des images, les secours qui font de leur mieux pour prendre en charge les victimes, on voit les lieux, les impacts des balles, les gens témoignent.
C'est à ce moment là que j'ai compris, l'ampleur de l'horreur. Que le danger est réel, qu'il est parmi nous et qu'il fallait que les choses changent.
Est ce que j'ai envie de savoir leur nom ou a quoi ils ressemblaient? A quoi bon !
Au sujets des photos : …montrer leur portrait, donner leur nom, est une sorte de glorification, 15 minutes de gloire, qu'ils ne méritent absolument pas…On ne pourra jamais oublier leurs actes alors qu'on les oublie eux. Par contre, j'ai envie de savoir qui était cette personne et comment elle en est arrivée là. On ne devient pas meurtrier en claquant des doigts. À quel moment notre société a-t-elle échoué? Où étaient les signes?" Dionna