Jusqu'au 15 juillet, deux reporters pédalent à travers le Brésil, de la côte nord jusqu'à Rio, pour rencontrer la population et brosser au quotidien un portrait brut, décalé et intime du pays, au-delà de la folie du ballon rond.
Plus que 40 km jusqu’à Caetés, la ville de naissance du président Lula que nous avons choisie pour assister au match d’ouverture de la coupe du monde qui opposera le Brésil à la Croatie. Nous sommes arrivés tôt hier après midi dans le village de Venturosa, le bien nommé, le vent est fort et de face depuis deux jours.
Après trois semaines de voyage, nous sommes bien en peine de prédire ce qu’il se passera dans le bar de Caetés où nous regarderons probablement le match ce soir -sans parler du score, même s’il aura son effet dans la suite des événements qui agitent le Brésil.
Nous pédalons dans un autre monde
Pas plus que dans le reste du pays, dans les villes notamment. Nous pédalons depuis bientôt dix jours dans un autre monde, le Sertão, confins intérieurs du Nordeste dans un pays-continent où la lenteur du vélo ne saurait appeler aux opinions trop péremptoires.
Une chose est sûre, plus nous nous éloignons de la côte, plus les opposants à la tenue de la Coupe du monde ou simplement mécontents de son organisation se font rares.
C’est encore plus vrai depuis que nous avons passé le col de Teixeira qui semble marquer, au milieu du Sertão, une frontière naturelle en plus qu’administrative entre l’État de Paraiba et celui du Pernambouc d’où Lula est originaire.
Les gens de la côte nous avaient décrit le Sertão comme le désert de Tabernas où furent tournés les western-spaghetti de notre enfance. Oui, nous avons vu quelques cactus, le sol pelé parfois, de la poussière et des églises blanches mais surtout une variété de paysages à dominante verte tour à tour méditerranéen puis tropical, ou de bocage.
Pas de famine comme dans la propagande anti-Mondial
La saison des pluies se termine après quatre années de relative sécheresse. On nous avait prédit la misère extrême et nous n’avons pas vu les ventres ballonnés que les opposants au Mondial affichent dans leur propagande.
"Nous sommes des gens fiers, travailleurs et solidaires pas comme dans les villes où règne la violence et l’égoïsme", nous confiait Rafael, ouvrier spécialisé, un ami de Barbara qui nous accueillis à Jabitaca.
L’image d’un peuple misérable qui vient remplir de ses retirantes les favélas des grandes villes du sud agace. Les temps ont changé et les années Lula font l’unanimité ici : jamais on n’a construit autant d’écoles, d’hôpitaux et de route que sous son mandat.
"Pourquoi n’envoient-ils pas l’armée faire le ménage ?"
Daniello, rencontré à l’ombre d’un abribus le long d’une route de terre, renouvellera sa confiance à Dilma Roussef à l’élection présidentielle de l’automne prochain malgré un tempérament plutôt conservateur :
"Le Brésil n’est pas en guerre que je sache ? Alors pourquoi n’envoient-ils pas l’armée faire le ménage dans les rues et renvoyer ces fainéants de manifestants chez eux ?"
La tendance est plus à la jacquerie qu’à la révolution dans le Sertão, ce n’est pas ici que nous serons les témoins de la ferveur anti-mondial et nous faisons moins les malins face aux cow-boys du genre de Daniello, à répéter à qui veut l’entendre que la France a été et sera, comme en 1986, 1998 et 2006, le cauchemar de la Seleção.
Nous atteindrons bientôt Salvador de Bahia, la grande métropole du Nordeste avec des billets pour France-Suisse dans les poches. César, notre ami argentin d’Atins, a toute confiance dans la suite des événements, et confiait hier :
"Le Brésil est un pays de fête et les gens feront la fête jusqu’au 13 juillet quand l’Argentine remportera l’épreuve. Après, oui, les Brésiliens retourneront manifester dans les rues et alors je les accompagnerai."
Et Rafael, l’ouvrier spécialisé, d’ajouter :
"Tu verras le 12 juin, tout le Brésil va s’arrêter pour regarder le match."