45% des jeunes médecins, qui s’étaient inscrits à l’Ordre des médecins en 2017, auraient déjà quitté la Tunisie. Ce phénomène concerne tous les diplômés, très touchés par le chômage. Explications.
Selon l’OCDE, quelque 94.000 «cerveaux» tunisiens ont quitté leur pays entre 2011 et 2017.
Ils subissent notamment le chômage des diplômés du supérieur, qui a doublé depuis 2005 : selon des chiffres officiels, on compterait aujourd’hui 240.000 diplômés sans travail (près de 40% du total des chômeurs !). Mais ils sont également attirés par de meilleures rémunérations, qui seraient cinq à dix fois plus élevées à l’étranger.
«L’hémorragie de la fuite des cerveaux semble (…) incontrôlable. La Tunisie voit des milliers de ses compétences quitter le pays pour l’Occident et les pays du Golfe arabe. Ce pays, en manque de ressources pétrolières et naturelles, compte énormément sur son capital humain», commente le site de l’hebdomadaire Réalités. Une perte d’autant plus regrettable que la formation de chacune de ces «compétences» coûterait à la Tunisie, gravement endettée, entre 5000 et 100.000 dollars tunisiens (de 1686 à 33.640 euros), selon des chiffres cités par la presse locale.
«Le phénomène ne constitue pas un problème en soi en ce sens où ces compétences peuvent devenir, un jour, un filon d’investissement devant contribuer à l’économie nationale», commente le ministre des Affaires sociales. Le pouvoir, dépassé par l’ampleur du problème, cherche-t-il à le positiver pour le minimiser? En tous cas, les chiffres ne confirment pas les dires du ministre. A titre d’exemple, 95% des ingénieurs formés à l’étranger, particulièrement dans les technologies de l’information et de la communication, ne rentreraient pas au pays.
Les professions médicales sont particulièrement concernées par les départs. «45% des nouveaux inscrits à l’Ordre national des médecins ont quitté la Tunisie en 2017», a annoncé l’institution. Quelque 800 jeunes Tunisiens prononceraient chaque année le serment d’Hippocrate. Ceux qui partent le font notamment pour de meilleurs salaires, une meilleure reconnaissance de leur profession. Et des conditions de travail plus dignes.
Apparemment, le malaise est profond, comme le montre le témoignage (publié dans Jeune Afrique), d’une jeune femme médecin de 29 ans, qui a préféré jeter l’éponge et partir en France. Elle raconte sa première garde d’interne aux urgences de l’hôpital de La Rabta à Tunis : «Imaginez : des patients, par dizaines, traités comme du bétail. Les infirmiers et les personnels paramédicaux, qu’il faut supplier pour qu’ils consentent à faire les gestes de base de leur métier. Des locaux vétustes, sales, des médicaments en rupture de stock, des appareils qui ne marchent pas. Et vous, à 23 ans, au milieu de cette mer en furie, seule responsable, dans ce climat de tension extrême, avec des gardes qui peuvent durer trente-six à quarante-huit heures.» N’en jetez plus…
Ce «grand exode», pour reprendre l’expression de Jeune Afrique, commence d’ailleurs à inquiéter les pouvoirs publics. Déjà, depuis 2014, les médecins spécialistes doivent en principe exercer un service national d’une année dans les régions intérieures. Le ministère des Affaires sociales prévoit «d’adopter des mesures imposant aux jeunes médecins de travailler au moins trois ans dans leur pays d’origine avant de le quitter vers d’autres destinations». Reste à savoir si de telles mesures suffiront. On n’ose pas imaginer comment réagiraient les médecins français si elles étaient envisagées dans l’Hexagone…
Le mot de la fin au quotidien francophone La Presse de Tunisie: «La Tunisie a besoin de ses jeunes pour conjuguer à l’expérience, la modération et la sagesse des aînés, l’énergie, l’audace, l’intelligence et la technicité qui sont les leurs. C’est cette mixture générationnelle qui va dynamiter ce marasme ambiant et porter la Tunisie au diapason des pays développés car autant le pays doit compter sur la pondération et le discernement politique de ses aînés, autant il doit compter sur le dynamisme, la créativité et l’inventivité de ses jeunes qui constituent son véritable trésor de guerre et sa rampe de lancement pour réussir sa mutation économique et sociale.»