Alors comme ça, vous avez cliqué. Le titre, sans doute. Comme dirait un ancien sélectionneur de l'équipe de France, c'est l'odeur du sang qui vous attire. La couverture, avec une flaque d'hémoglobine. Le titre, avec cet "amateur de souffrances" qui peut laisser imaginer bien des choses... Poursuivez votre lecture, vous allez voir de quoi ça parle. Et promis, vous ne serez pas déçu.
Ça parle de quoi ?
1675. Charles Sanson fait une mauvaise chute à cheval, dans la campagne, près de Rouen (Seine-Maritime). Il est recueilli par une famille qui habite non loin. Le père, un brave homme un peu bougon. La fille, une très jolie infirmière, aux petits soins pour le blessé. Il se passe ce qu'il devait se passer. Les deux tombent amoureux, d'abord en cachette, puis de manière plus officielle quand le paternel les surprend. Pourtant, leur technique était inévitable : l'homme étant bourreau, il suffisait de surveiller les annonces d'exécutions pour avoir un moment de libre dans la grange. Charles n'a pas le choix. Il épouse la fille du bourreau, et par là même la profession du père.
Commence alors une initiation à ce drôle de métier : "j'ai appris à flageller, j'ai appris à marquer au fer rouge, j'ai appris à mutiler les yeux, la bouche, la langue, les oreilles, les dents, les bras, les mains, et les pieds, et même le coeur. J'ai appris les découper et à arracher tout ce qui peut se découper ou s'arracher sur un corps humain. (...) Par contre, je ne crois pas qu'on s'habitue jamais à tuer un homme." Surtout, quand, dans le public, émerge un drôle de bicorne. A chaque exécution. Et qui rajeunit de cinquante ans au moment du coup fatal... Ce "Benjamin Button" de l'horreur est plus qu'un simple spectateur. C'est un acteur direct de la vie de Charles, auprès duquel il réclame sa part des cadavres. On pourrait presque dire qu'il tire les ficelles de son existence...
Pourquoi on adore
Les impatients seront ravis : Boris Beuzelin a travaillé pendant cinq ans sur les albums, qui devaient d'abord sortir en six tomes avant d'être condensés en trois. Et ça se sent, aussi bien dans le texte que dans la pagination : on en a pour son argent. Une histoire dense, des rebondissements fréquents, et l'effet d'exposition dilué dans un album solide. Chaque tome est divisé en deux parties, suivant l'histoire d'un des Sanson, pieds et poings liés à sa profession de bourreau, toujours hanté par ce mystérieux amateur de souffrances qui s'immisce de plus en plus dans leurs vies.
Le scénario de Patrick Mallet, spécialiste des fictions historiques (il vient de conclure la remarquable trilogie Fouché, aux éditions Les Arènes) est magnifié par le trait sombre de Boris Beuzelin (qui a signé le très recommandable Carton Blême quelques années plus tôt chez Casterman). Nerveux, et épais, son encrage fait penser à celui de Fabien Bédouel sur le très chouette Forçats, les deux s'inscrivant dans une filiation avec le maître Mike Mignola (Hellboy). Cerise sur le gâteau : la suite arrive très vite, dans un mois à peine, et le dénouement du récit sera publié d'ici moins d'un an.
C'est pour vous si...
... vous aimez vous faire peur au coin de la cheminée, un plaid sur les genoux, en lisant à la lumière des flammes qui dansent. Si vous avez toujours trouvé assez injuste que les bourreaux n'aient pas plus la vedette dans les récits historiques. Si vous avez bien aimé la série Le Bourreau (éd. Delcourt) mais avez regretté le parti-pris un peu trop "super-héros du Moyen-Âge" des auteurs. Si vous trouvez que le film L'Etrange histoire de Benjamin Button est un peu trop gentillet. Si vous avez dans votre cave une roue de torture et des chaînes accrochées au plafond, mais on ne veut pas en savoir plus.
Les Sanson et l'amateur de souffrances, livre 1 par Patrick Mallet (scénario) et Boris Beuzelin (dessin), éd. Vents d'Ouest, 96 p., 18 euros environ. Le tome 2 sera disponible le 29 mai.