La BD de la semaine : dans le manga "Peleliu", la guerre du Pacifique toute crue

Vous n'avez jamais entendu parler de Peleliu ? C'est normal. La plupart des Japonais non plus. Et pourtant, c'est sur cette île minuscule située au sud de l'archipel philippin, que s'est déroulée, à la fin de la Seconde guerre mondiale, une des plus importantes batailles de la guerre du Pacifique. Aujourd'hui, Peleliu est devenu un manga, publié par les toutes jeunes éditions Vega, qui met en lumière cet événement méconnu de l'Histoire du 20e siècle. Une série puissante qui dévoile autant les atrocités commises lors de cette bataille que la stratégie japonaise mise en place pour résister aux Américains.

Ça parle de quoi ?

A l'automne 1944, sur la petite île de Peleliu située dans l'océan Pacifique, s’est déroulée une terrible bataille opposant le Japon aux Etats-Unis. Pour le général MacArthur qui conduit alors les troupes américaines vers l’archipel philippin, cet atoll doté d’un aéroport est une place stratégique qu’il faut impérativement (et rapidement) conquérir. Mais les choses ne se passent pas comme prévu.

Face à des troupes japonaises ultra déterminées, la conquête de ce minuscule territoire (13 km² seulement, la surface des 12e et 13e arrondissements de Paris réunis) se révèle compliquée et particulièrement meurtrière pour les troupes américaines. C'est cette bataille, censée durer une semaine mais qui s'éternisa pendant 73 jours, que nous raconte le mangaka Kazuyoshi Takeda dans Peleliu, Guernica of Paradise. Une histoire tragique, racontée à travers le personnage de Tamaru, un apprenti mangaka (sorte d'alter ego de l'auteur), qui nous relate son quotidien difficile au sein de son régiment pendant l'assaut des troupes américaines. Seul impératif : résister le plus longtemps possible, en sachant que ses chances de survie sont quasiment nulles.

Pourquoi on adore

Le réalisateur américain Clint Eastwood l’avait remarquablement fait dans Lettres d’Iwo Jima : raconter du point de vue japonais la bataille du Pacifique qui fût la plus meurtrière pour les troupes américaines. De la même façon, Peleliu, Guernica of Paradise est l’occasion de combler nos lacunes historiques. En effet, peu d’Européens ont entendus parler de cette terrible bataille, nos livres d’histoire étant entièrement consacrés, à cette période, au débarquement en Normandie et à ce qui s'en suivi.

D'ailleurs, ce n'est que très tardivement que Kazuyoshi Takeda lui-même a découvert l’existence de cet îlot paradisiaque et les atrocités qui s'y étaient déroulées. Quand, en avril 2015, l’empereur du Japon et son épouse se rendent sur l'île pour y commémorer les morts, le mangaka réalise que c’est à cet endroit que son grand-père était en poste durant la Seconde guerre mondiale. Il s'empare du sujet et choisit de nous raconter le siège de cet île par le biais d’une fiction inspirée de faits historiques. On y suit Tamaru, un des 10 000 soldats japonais stationnés sur Peleliu, pas vraiment prédestiné à combattre et passionné de dessin. Il est flanqué de grosses lunettes qui lui mangent le visage et derrière lesquelles il se réfugie en maugréant. Rapidement, il se retrouve au cœur de cet assaut qu’il pressent être perdue d’avance. Peu à l’aise au combat, il est vite assigné au poste d’attaché au mérite. Sa mission : tenir un journal sur le déroulement des événements et consigner les pertes humaines afin de pouvoir informer les familles de ses camarades morts au combat. Mais très vite, retranché dans un périmètre qui se réduit jour après jour et sans aucun ravitaillement, la seule mission qui incombe est de trouver de la nourriture pour continuer à tenir face à l'ennemi.

Mais ne vous méprenez pas. Malgré un trait doux et des personnages à grosses têtes, Kazuyoshi Takeda livre un témoignage d’une rare violence. Rapidement, le petit paradis tropical devient le théâtre de scènes d’horreur que les dessins ultra naïfs du mangaka (dont c’est la première œuvre éditée en France) rendent finalement supportables. "Opter pour un dessin doux, c’est donner de l’oxygène au lecteur, lui faciliter la lecture en quelque sorte" confiait récemment Kazuyoshi Takeda dans le magazine Atom. Car la bataille de Peleliu fût une vraie boucherie. Côté américains, les pertes furent lourdes et cette bataille fût la deuxième plus meurtrière après celle d’Iwo Jima. Et côté japonais, sur la dizaine de milliers de soldats mobilisés, seuls 202 furent fait prisonniers. Les autres sont morts, suivants les consignes que le commandement ne cessait de répéter : "Il ne s’agit pas d’éviter de mourir dans cette bataille. Il s'agit de tuer le plus d’ennemis possible avant de périr". C’est ce sens du sacrifice et l’absurdité des situations qui en découlent que nous décrit avec beaucoup de pédagogie Kazuyoshi Takeda.

Notez que Peleliu fait partie des titres édités par Vega, une toute nouvelle maison d’édition née en 2018, dont la particularité est de ne publier que des seinen (des titres destinés à un public plus adulte).

C’est pour vous si…

... Vous aimez les témoignages historiques incarnés et poignants. Peleliu est dans sa forme et dans le fond la meilleure façon de vous sensibiliser à une bataille de la Seconde guerre mondiale très injustement oubliée de nos manuels d’histoire.

Peleliu, Guernica of Paradise de Kazuyoshi Takeda, éd. Vega, environ 8 euros. Quatre tomes sont pour l’instant disponibles en France. Le tome 8 paraîtra au Japon cet été.