"On a tout fait pour que la série soit un succès, et on a réussi" : entretien avec les auteurs du manga "The Promised Neverland"

© 2016 by Kaiu Shirai, Posuka Demizu / SHUEISHA Inc.

C’était le manga le plus attendu cette année après son carton au Japon et on le doit à un duo d’auteurs sortis de nulle part. L'histoire de jeunes enfants qui cherchent à s'échapper de l'orphelinat dans lequel ils grandissent après avoir découvert l'horrible destin qui les attend. Pour en savoir plus, nous nous sommes rendus à Tokyo (Japon) peu avant la sortie du premier tome de The Promised Neverland chez Kazé, son éditeur français. En cette fin d’après-midi d’avril, alors que les bureaux de la maison d'édition Shueisha ferment leurs portes, on se retrouve face à face avec Suguru Sugita, le tantô (l'éditeur en VF) assigné à la série, Posuka Demizu, la dessinatrice flanquée d'une perruque aux longs cheveux verts, et Kaiu Shirai dont on ne vous dévoilera rien, le scénariste souhaitant à tout prix garder l’anonymat complet. A l'occasion de la parution du troisième tome en France le 22 août, nous publions l'intégralité de cet entretien.

Pop Up' : Vous faites un carton avec votre premier manga qui vient de débarquer en France. Qui se cache derrière The Promised Neverland ?

Kaiu Shirai (très intimidé) : Je suis né à Gifu, le département le moins connu du Japon (situé au nord-est de Kyoto). Quand j’étais étudiant, je faisais du kabuki [théâtre traditionnel japonais] puis j’ai commencé à travailler dans une entreprise privée. A cette époque, j’avais commencé l'écriture d'un scénario, mais ça n’a pas abouti. Je me suis remis au travail et j’ai finalement envoyé un manuscrit de 300 pages à Shueisha. Voilà comment a débuté The Promised Neverland.

Posuka Demizu : Je suis née à Tokyo, un département un peu plus connu au Japon (rires). Jusqu’à présent, je dessinais des mangas pour enfants et je réalisais également des couvertures de romans en tant qu’illustratrice.

Comment avez-vous découvert The Promised Neverland ? Quelle a été votre réaction à sa première lecture ?

Suguru Sugita, l’éditeur : Au départ, j’ai trouvé que l’histoire était très différente de ce qu’on trouve habituellement dans Shônen Jump. L’évasion, c’est une toute nouvelle approche pour nous, donc j’étais un peu surpris. Mais après avoir lu toute l’histoire, je me suis dis que ça pouvait être intéressant. Toutefois, j'avais encore des doutes car je trouvais ça difficile à dessiner : l'histoire mélange, en effet, beaucoup de styles différents qu'il fallait traduire visuellement.

© 2016 by Kaiu Shirai, Posuka Demizu / SHUEISHA Inc.

Au départ, aviez-vous imaginé une même personne au scénario et au dessin ?

S. S. : En fait, Kaiu Shirai préférait se consacrer entièrement au scénario. Et lorsque j’ai lu l’histoire, j’ai tout de suite pensé qu’il fallait trouver un très bon dessinateur, qui serait à la hauteur du talent du scénariste. Pour le trouver, Kaiu Shirai a fait des recherches sur internet et il est tombé sur des travaux de Posuka Demizu. Il l’a contactée pour lui proposer de dessiner le one-shot qui a été prépublié dans Weekly Shônen Jump avant le premier chapitre de The Promised Neverland. C'est comme ça que tout à commencé.

Vous avez été prépubliés dans le Weekly Shonen Jump où sont nés des best-sellers mondiaux comme One Piece ou Naruto. Que représente ce magazine pour vous?

K. S. : C’est le meilleur des magazines de divertissement.

P. D. : Je compare souvent Shônen Jump au mont Fuji qui la plus grande montagne du Japon. Je rêvais d’être publiée dedans, et maintenant, je réalise qu’il existe des montagnes plus élevées ailleurs dans le monde, comme l’Everest. Mais Shônen Jump reste le plus grand des magazines de mangas au Japon.

"The Promised Neverland" en couverture d'un numéro de "Weekly Shônen Jump". © 2016 by Kaiu Shirai, Posuka Demizu / SHUEISHA Inc.

[Attention spoilers à suivre !]

 

Votre script de base faisait 300 pages. Jusqu’où aviez-vous imaginé l’histoire de The Promised Neverland ?

K. S. : Le manuscrit de base allait jusqu’à ce que les enfants s’évadent de l’orphelinat. Dans l’idéal, j’aimerais, en accord avec mon éditeur, que l’histoire ne se prolonge pas trop. Idéalement, je prévois une vingtaine, voire une trentaine de tomes [dix ont déjà été publiés au Japon].

Sœur Krone est une personnage de type africain avec la peau noire, ce qui est très rare dans les mangas. Qui a eu eu cette idée ?

K. S. : On a eu l’idée ensemble. Mais lorsqu’elle est apparue en couverture de Shônen Jump, il a fallu imaginer un twist scénaristique pour lui donner de l’importance. On a donc décider de la tuer. C’est triste car c’était un personnage super, mais en même temps, elle meurt de la plus belle des façons. Au final, je suis très contente qu’elle ait disparu de cette manière. Mais il va falloir qu’on trouve un moyen de la faire revenir car elle était vraiment trop géniale (rires) !

Sœur Krone © 2016 by Kaiu Shirai, Posuka Demizu / SHUEISHA Inc.

 

[Vous pouvez reprendre votre lecture sereinement]

 

Votre trait tout en rondeur a quelque chose de très occidental (en particulier lorsque vous dessinez sœur Krone, à la fois terrifiante et burlesque). Quelles sont vos influences graphiques ?

P. D. : Quand j’étudiais les beaux arts, je me suis passionnée pour les peintres européens, et en particulier Rembrandt. Et de l’autre côté, mon père achetait beaucoup de jeux vidéo. Ce sont mes deux influences principales. J’ai également une version illustrée du Petit Prince et j’adore ce style de dessin.

Combien d’heures dessinez-vous par jour ? Avez-vous des assistants ?

P. D. : Je me lève à 7 heures, le staff arrive vers 10 heures et on travaille ensuite jusqu’à tard. Au moment du premier tome, je voulais tout faire toute seule et un assistant m’aidait juste à coller les trames. Aujourd’hui je demande à trois ou quatre amis de m’aider régulièrement. Je leur demande de dessiner les forêts par exemple. Au total, je travaille environ quinze heurespar jour et je me lève toujours à 7 heures, quoi qu’il arrive.

Posuka Demizu réalise un dessin pour franceinfo à Tokyo (Japon), le 5 avril 2018.

Est-il plus difficile d’être une femme dessinatrice de manga ?

P. D. : Il n’y a pas d’obstacle particulier lorsque l’on est une femme. En revanche, je pense que c’est dommage qu’on s'intéresse à un manga parce que c’est une femme qui est aux commandes, plutôt qu’un homme. L’essentiel pour moi, c'est que le manga soit bon.

Comment expliquez-vous l’accueil et le succès rencontrés par The Promised Neverland au Japon ?

S. S. : C’était un vrai challenge de publier The Promised Neverland. Je voulais un truc jamais vu dans Shônen Jump. Le suspens, c’est très rare dans ce magazine et la manière dont l’histoire est rythmée se rapproche d'une série télé. En fait, on voulait reproduire le style de mangas que l’on trouvait autrefois dans le magazine, lorsque le héros surmontait les difficultés avec ses amis. Historiquement, les valeurs de solidarité étaient très importante dans Shônen Jump et on retrouve ça dans The Promised Neverland. Finalement, on a tout fait pour que la série soit un succès et on a réussi.