Sorti en France fin janvier, le huitième et dernier tome d'Erased (éd. Ki-oon) confirme tout le bien que l'on pensait déjà de cette série de mangas. En nous plongeant au cœur d'une enquête sur des meurtres d'enfants, le Japonais Kei Sanbe nous livre sa vision très sombre de l'âge tendre. Autant dire que ceux qui se sont fiés aux couvertures aux dessins faussement naïfs ont dû être surpris. Erased est un thriller temporel ultrasombre qui risque de vous hanter longtemps après sa lecture.
De quoi ça parle ?
A 28 ans, Satoru Fujinuma est un jeune homme solitaire et morose. Aspirant mangaka, il est contraint de gagner sa vie en livrant des pizzas. Mais cet homme réservé, d’apparence ordinaire, possède un étonnant pouvoir. Lorsqu'un événement grave doit se produire, Satoru revit en boucle les quelques minutes qui précèdent l'accident. Ces "rediffusions" sont l’occasion pour notre super-héros du quotidien de détecter le problème et d'empêcher qu'il n'arrive. Un don très utile, qui lui permet par exemple de sauver un petit garçon avant qu'il ne se fasse renverser par un camion dont le chauffeur a été victime d'un arrêt cardiaque.
Mais lorsque Satoru découvre dans son appartement sa mère poignardée, il se retrouve projeté non pas quelques minutes en arrière, mais dix-huit ans plus tôt. Dans le corps du petit garçon de 9 ans qu'il était en 1988, il comprend qu’il est de retour dans le passé pour empêcher l'assassinat de sa mère. Une opération délicate qui doit trouver son dénouement dans la résolution de meurtres perpétrés par un serial killer sur ses anciens camarades de classe de l'époque.
Pourquoi on adore ?
Parce que pendant huit tomes, le mangaka Kei Sanbe (L’Ile de Hôzuki, Le Berceau des esprits) nous transforme en un détective aussi soucieux de découvrir l’identité du tueur que Satoru. Bourré de suspense et de rebondissements, Erased (Boku dake ga Inai Machi en VO) est un thriller haletant qui glisse le lecteur dans la peau d’un enfant de 9 ans. Mais ici, point de nostalgie. Ce retour en enfance a un goût âpre. Satoru était un enfant solitaire. Il est devenu un adulte esseulé qui va devoir revivre une période trouble de son enfance, jusqu'à présent refoulée, sans refaire les mêmes erreurs que par le passé.
L'ancien assistant de Hirohiko Araki (JoJo's Bizarre Adventure) réussit à nous entraîner dans un polar bien plus sombre que ne le laisse présager la relative naïveté de son dessin. Erased aborde l’enfance via des thèmes difficiles. La difficulté à communiquer ses émotions tout d’abord, qui va handicaper Satoru jusque dans sa vie professionnelle car, à l'âge adulte, il lui sera impossible de les transmettre à ses personnages dans ses mangas. Mais également des thématiques beaucoup plus douloureuses, comme le harcèlement scolaire, la maltraitance, les enlèvements et les assassinats d’enfants.
L’ambiance oppressante de ce seinen, qui prend un malin plaisir à balader en permanence son lecteur (et pas seulement à travers des voyages temporels), lui a permis de décrocher la deuxième place aux Manga Taisho Awards de 2014 (remporté l’an dernier par Golden Kamui) et de s’assurer un véritable succès commercial au Japon. Un spin-off est d’ores et déjà commandé et Erased a été adapté, avec un dessin un peu moins singulier, en animé (disponible sur Wakanim) et en film live (inédit en France).
C’est pour vous si…
Vous avez l'âme d'un Columbo en culottes courtes et que les faits divers les plus glauques excitent votre curiosité. Et si Erased n'est pas aussi brillant que 20th Century Boys (éd. Panini Mangas), il fait souvent parfois penser au chef-d'œuvre de Naoki Urasawa (Monster, Pluto) avec ses allers et retours dans le temps et son histoire impliquant une bande de gamins innocents.
Erased de Kei Sanbe, huit tomes parus aux éd. Ki-oon (série terminée), environ 200 p. et 8 euros chaque tome.
Toutes les illustrations reproduites dans l'article sont © 2013 Kei Sanbe / KADOKAWA CORPORATION, Tokyo.