Mythologie, fanatisme et pop music, le comic book "The Wicked + The Divine" débarque enfin en France

"Les mortels ont toujours montré plus d’intérêt pour les dieux que l’inverse. D’une manière générale, les dieux ne désirent rien de plus que l’adoration." Cette citation, un tantinet blasphématoire, est extraite de Faust départ, le premier volume de The Wicked + The Divine. Elle résume parfaitement le propos de ce comic book adoubé par les Anglo-saxons depuis sa sortie en 2014 et enfin traduit en français aux éditions Glénat Comics. L’histoire de douze divinités qui se réincarnent, tous les 90 ans environ, dans le corps de jeunes gens qu’ils transforment en d’immenses pop stars. Mais cette notoriété a un prix et qu’importe qu'elles soient adulées ou jalousées, elles mourront deux ans plus tard, pour renaître le siècle suivant.

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"C’est un comic book pop, glam et trash qui tape très fort et qui parle de la célébrité, des fans, de l’art et de la mort", résume son scénariste, le Britannique Kieron Gillen. Une œuvre moderne et intelligente, bien moins superficielle que son pitch ne pourrait laisser penser et qui demandera à son lecteur une, voire plusieurs relectures afin d’en déceler toutes les finesses. Quoi de plus normal pour une histoire qui parle de cycles et d’éternel recommencement ? Avant d’en découvrir en exclusivité les premières pages, Pop Up’ se penche sur les raisons du succès de The Wicked + The Divine, dont une adaptation à la télévision est d’ores et déjà dans les tuyaux.

Enfin un comic miroir de notre diversité

C’est peut-être un détail pour vous mais pour bon nombre de lecteurs de comics, ça veut dire beaucoup. Avec ses divinités majoritairement féminines, aux origines variées et à la sexualité décomplexée, WicDiv, l’abréviation communément employée par les fans de The Wicked + The Divine, a mis un sérieux coup de vieux au traditionnel casting masculin, blanc et hétérosexuel qui peuple communément les comics (et la bande dessinée culture en général).

Publié en juin 2014 aux Etats-Unis, le premier tome de WicDiv plante son intrigue principale à Londres (Royaume-Uni), la même année. La capitale britannique, multiculturelle et musicalement bouillonnante comme la connait bien Kieron Gillen est tout simplement celle qu'il choisi de décrire dans WicDiv. Bref, il a eu l’audace de ne rien inventer, insufflant ainsi à son comic un vent de modernité. "Nous sommes très mal à l’aise lorsque les gens nous complimentent pour ça alors que ce que nous avons fait est vraiment le minimum. (…) C’est juste triste qu’on le remarque."

Fond persos

Cela donne de nombreux personnages queers (Cassandra, la journaliste qui enquête sur le panthéon, est une transexuelle ; Baal, le dieu de l’orage, a un petit ami ; Lucifer est une sorte de Bowie lesbienne période Thin White Duck, etc.) et des divinités issues de mythologies très différentes en provenance, de la Grèce évidemment mais aussi du Japon, d'Egypte ou d’Inde.

Mais cette diversité voulue par Gillen ne serait rien sans les modélisations toutes en sobriété du dessinateur Jamie McKelvie, déjà compère de Gillen sur la série Marvel des Young Avengers. "Jamie ne traite pas les femmes comme des objets. Il ne dessine pas de poses hyper-sexualisées, il ne crée pas de costumes qui ne sont que des prétextes au fétichisme, etc." précise d’ailleurs Gillen à Vice. Quant à la magnifique mise en couleurs de Matthew Wilson, elle apporte cette touche résolument pop à l'album.

Avec pour héros des femmes fortes en position de domination, aux origines variées (l’héroïne Laura, fan des douze divinités, est une jeune fille métissée) et à la sexualité affirmée, WicDiv concentre tout ce que les fans de comics attendaient depuis des années.

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De façon plus légère, le panthéon imaginé par Kieron Gillen reflète également toute la diversité du paysage musical. Chaque divinité est l’archétype d’un genre, sorte de mixe parfait entre des artistes musicalement proches. Ainsi, la déesse Amaterasu incarne une chanteuse qui serait une fusion réussie de Kate Bush, de Florence Welch (de Florence + The Machine) et de Stevie Nicks (de Fleetwood Mac) tandis que Sakhmet est une chanteuse ultra féline, mi-Rihanna, mi-Grace Jones. Les plus curieux (et les plus mélomanes) pourront d’ailleurs se plonger dans la lecture de The Wicked + The Divine en écoutant la longue playlist Spotify imaginée pour l’occasion par Gillen.

La pop music, opium du peuple

En imaginant des dieux incarnés par des pop stars et des pop stars idolâtrées comme des dieux, WicDiv soulève une importante question : la pop culture a-t-elle remplacé la religion dans notre monde moderne ? En postulant que les chanteurs et chanteuses ont autant, voire plus, d’influence que les dieux et déesses, WicDiv ne fait que remuer le couteau dans une plaie déjà ouverte en 1966 par John Lennon, qui aurait déclaré à une journaliste que les Beatles étaient plus populaires que Jésus-Christ.

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Et plus encore qu'une réflexion sur la gloire, souvent éphémère, érigée en valeur suprême par la jeunesse d’aujourd’hui, le comic de Gillen et McKelvie questionne le statut de l’artiste. "La célébrité est un problème secondaire dans l’album, se défend d'ailleurs le scénariste dans une interview au site Den of GeekWicDiv parle surtout du fait d’être un artiste dans notre monde. Tous les dieux sont exceptionnellement talentueux mais ils sont aussi complètement barrés et c’est la place qu’ils vont choisir d’occuper qui va être importante."

D'ailleurs, il serait malvenu pour Gillen de taper sur les fans et la célébrité tant son comic est devenu une vraie source d’inspiration pour ses lecteurs qui se sont appropriées les divinités les plus charismatiques à travers le cosplay et les tatouages.

 

 

#wicdiv Friday cosplay round up!

Une photo publiée par Kieron Gillen (@kierongillen) le

Awesome lucifer tattoo. #wicdiv

Une photo publiée par Kieron Gillen (@kierongillen) le

La mort, sel de la vie ?

"J’ai eu l’idée du concept de WicDiv après avoir appris que mon père était atteint d’un cancer en phase terminale", confiait Kieron Gillen à Wired en 2015. Dans WicDiv, tout est une question de cycles, les dieux vivent, meurent et reviennent, mais toujours pour quelques mois seulement. Ils ont tous une date d’expiration qui pimente leur existence. "Nous n’avons que peu de temps à passer sur terre" explique encore Gillen à Vice. "Est-ce vraiment important que ce soit deux, dix ou soixante-dix ans ?" D'ailleurs, nous avons tous nos cerveaux remplis de dates butoirs, qui représentent des étapes que l'on se fixe dans notre vie (pour s'installer, pour faire un enfant, pour posséder une Rollex...). Au moment de débuter l’écriture de The Wicked + The Divine, Gillen avait 38 ans et la perspective d’entrer bientôt dans sa quarantième année était une telle source d’angoisse qu'elle l'a poussé à imaginer que son panthéon n'aurait que deux ans à vivre sur Terre !

Et vous, si vous n’aviez que deux années à passer sur Terre, prendriez-vous le temps de faire des études, d’apprendre un métier, de nouer une relation ? Non, bien sûr, il est probable que vous choisiriez de vous éclater comme un dingo et de profiter au maximum de ces quelques mois, sans avoir à vous soucier de votre santé ou de vos finances.

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Si l'on en croit son auteur, l’histoire de The Wicked + The Divine sera probablement racontée en "une quarantaine de numéros" publiés mensuellement aux Etats-Unis soit, environ une dizaine d’ouvrages à paraître en France (chaque volume compile 5 à 6 tomes et 23 sont déjà sortis aux Etats-Unis, dont un stand-alone). "Avant qu’on termine ce comic, j’espère qu’il y aura un jeune de 17 ans qui l’aura lu intégralement et qui se révélera et créera à son tour quelque chose de fantastique" confie Gillen à Wired. On espère qu’il ne sera pas tout seul, ça ne serait pas assez pour construire un panthéon digne de ce nom.

Découvrez en exclusivité avec Sequencity les premières pages de The Wicked + The Divine :

The Wicked + The Divine - Tome 1, Faust départ de Kieron Gillen, Jamie McKelvie et Matthew Wilson sera disponible le 26 octobre (et en avant-première au Comic Con de Paris du 21 au 23 octobre), éd. Glénat Comics, 176 pages, environ 17 euros.

Toutes les images reproduites dans cet article sont © 2016 Kieron Gillen Limited and Fiction & Feeling Limited. The Wicked + the Divine, the Wicked + the Divine logo, and Laura Wilson’s likenesses are trademarks of Kieron Gillen Limited and Fiction & Feeling Limited.