Sale temps pour les comédies. Alors que les sitcoms phares du genre stagnent, voire agonisent (Big Bang Theory, quelqu'un ?) et que les petites nouvelles de qualité se comptent sur les doigts de la main, il fallait au moins quelqu'un de la trempe de Kimmy Schmidt, l'incassable, pour redresser la barre. Dans ce contexte un peu particulier, la dernière création de Netflix, imaginée et produite par Tina Fey et Robert Carlock ("Saturday Night Live", 30 Rocks, entre autres), est presqu'unanimement saluée par la critique. Unbreakable Kimmy Schmidt est-elle la dernière sitcom immanquable ? Elle est plutôt un excellent dessin animé.
Bienvenue à Toonville
Originaire d'un trou perdu de l'Indiana (les pauvres, après Pawnee, ça...), séquestrée pendant quinze ans dans un bunker par un gourou, prêcheur de l'Apocalypse (Jon Hamm), Kimmy Schmidt (Ellie Kemper), deux copines et une femme de ménage mexicaine, sont un beau jour délivrées par une équipe des forces de police du Swat. Rebaptisées les femmes-taupes ("mole women"), les malheureuses sont de passage à New York, en tournée médiatique, quand Kimmy décide de poser ses bagages dans la Grosse Pomme, décidée à tirer un trait sur son tragique passé.
Sauf que Kimmy ne s'installe pas à New York, mais à Toonville. Il faut se faire à cette idée pour apprécier ses aventures (ce qui prend de trois à cinq épisodes, selon que vous soyez ou non bon public). Il faut pleinement se convertir à cette vision pour adhérer à un humour intégralement basé sur le gag et la caricature. Nulle part, si ce n'est dans un cartoon, un personnage comme Titus, le colocataire noir et ostensiblement gay, n'est concevable. Nulle part, si ce n'est dans un cartoon, une jeune femme traverse quinze années de séquestration et en ressort avec la patate d'une Mary Poppins moderne. Nulle part, si ce n'est dans un cartoon, les jeux de mots et incongruités sont à ce point soulignés par le jeu des comédiens (la mine perplexe, confuse, les sourcils froncés, chaque fois qu'un personnage tombe dans le fossé culturel qui les sépare.)
A bien y regarder, Ellie Kemper elle-même semble avoir été dessinée par un créa' de Pixar. Tina Fey a dessiné Kimmy Schmidt sur elle : une femme adulte qui ne porte à l'écran que du fluo, irradie quand elle sourit (c'est-à-dire 95% du temps -ce qui lui laisse 5% pour faire la moue-) et se comporte à 30 ans comme la préadolescente naïve qu'elle était à l'époque de son enlèvement.
De l'art d'exploiter les clichés
A l'air libre, Kimmy découvre 2015, les téléphones portables, Google, le GPS... Elle a disparu avant l'épilogue de Friends, ne connaît pas Katy Perry et il y a fort à parier qu'elle pense que Britney Spears sort encore avec Justin Timberlake. De ce décalage naît une avalanche de situations évidemment cocasses.
Sans être vraiment incisive, ni cruelle, la série flirte tout en douceur avec le politiquement incorrecte. Clichés raciaux (la femme de ménage mexicaine qui ne parle pas l'anglais + des vannes sur les Amérindiens + un Vietnamien sans papier baptisé sobrement Dong -argot pour pénis-) ; clichés sociaux (le mépris de classe surréaliste de Jacqueline Voorhees - la géniale Jane Krakowski -, qui emploie Kimmy comme nounou et confidente + les bouseux de l'Indiana) ; clichés sexuels (Titus, Michou black qui rêve de faire carrière à Broadway)... Les personnages, tous caricaturaux, sont gentiment moqués, le tout sans grossièreté ("that's complete BS", -pour "bullshit"-, dit-elle, au pire, quand elle est vraiment très énervée). Les travers surréalistes des protagonistes contribuent à les rendre attachants, tous paumés, tous "too much" et tous un poil ridicule. D'ailleurs, "en vietnamien, Kimmy veut dire 'pénis'", rétorque Dong, moqueur, lui aussi.
Si vos yeux s'adaptent aux couleurs acidulées de ses jeans et que votre esprit se laisse séduire par la naïveté loufoque de la pétillante Kimmy, nulle doute que vous raffolerez aussi de ses aventures cartoonesques, dans lequels on peut défoncer un mur en se bagarrant, animer un cours de fitness en faisant caca ou, mieux ou encore, réussir une authentique "fart joke" (blague de pet).
Marie-Adélaïde Scigacz