Simon Carpentier, Rimbaud et Verlaine

Victor Solf et Simon Carpentier faisaient la paire. Duettistes inspirants cachés derrière trois lettres - Her - ils s'entendaient comme larrons en foire depuis le bahut. Simon Carpentier est mort dimanche dernier. Mort jeune et talentueux.

Leur  premier album, Her Tape #1, sorti en 2015, s'ouvrait sur les voix d'Emma Watson, de Nina Hagen et de Scarlett Johansson, paroles militantes en faveur des droits des femmes. C'est la mère de Simon  qui avait écrit les deux dernières phrases de ce préambule : « La femme n’existe pas, mais il y a des femmes. Pas une seule femme ne peut représenter la femme, pour la dire toute, il faudrait toutes les femmes. » 

C'est le père de Victor qui lisait dans sa langue, la langue allemande, un extrait de la première épître de l'apôtre Paul aux Corinthiens. Le morceau Interlude s'achevait sur Sensation, l'un des premiers  poèmes d'Arthur Rimbaud, composé avec la fougue fugueuse de ses presque seize ans. Deux quatrains baladeurs croisant rimes et chemins, comme les meilleurs copains du monde.

Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme.

Ce n'est pas ce poème que Rimbaud envoie l'année suivante à Verlaine, dans une lettre expédiée de Charleville - là où le gamin se rêve poète et ailleurs. Nous sommes à la fin du mois d'août et le temps presse. A Charlestown, Rimbaud s'asphyxie. Il demande l'asile à Verlaine, un pied à terre, à l'étrier aussi. Ces deux-là ne se sont jamais vus. Pour l'occasion, Verlaine dégaine un alexandrin qui n'en finit plus : "Venez vite, chère grande âme, on vous attend, on vous admire ". Le vers n'est pas encore impair mais rue Nicolet on fait désormais ménage à trois. La suite ? On la connaît. Le 1er août 1873, l’officier de la paix Lambard, qui flique Paul Verlaine, note dans son rapport :

Le parnassien Robert VERLAINE, était marié depuis trois ou quatre mois à la sœur de Civry, un compositeur pianiste qui a été emprisonné à Satory après la Commune, pontonné, puis relaxé. Ce mariage s’était opéré au commencement ou au milieu de l’année dernière. Le ménage allait assez bien en dépit des toquades insensées de VERLAINE, dont le cerveau est depuis longtemps détraqué, lorsque le malheur amena à Paris un gamin, RAIMBAUD, originaire de Charleville, qui vint tout seul présenter ses œuvres aux parnassiens.

Comme moral et comme talent, ce RAIMBAUD, âgé de quinze à seize ans, était et est une monstruosité.

Il a la mécanique des vers comme personne, seulement ses œuvres sont absolument inintelligibles et repoussantes.

VERLAINE devint amoureux de RAIMBAUD, qui partagea sa flamme et ils allèrent goûter en Belgique, la paix du cœur et ce qui s’en suit.

"La paix du coeur et ce qui s'en suit." L'euphémisme est menteur. Trois semaines auparavant, Verlaine a tiré sur Rimbaud. L'année suivante, c'est l'adieu à Verlaine et à la vie de poète. Le 7 novembre 1874, le Times londonien publie cette annonce, signée AR  :

Parisien (vingt ans), de haute distinction littéraire et linguistique, excellente conversation, serait heureux d’accompagner un gentleman (de préférence un artiste), ou une famille désirant voyager dans les pays du Sud ou en Orient. Bonnes références. - AR., No.165, King’s-road, Reading.