"Certaines femmes", Kelly Reichardt paysagiste de l'âme

 A la droite du premier plan, les trains filent, presque hors-champ... A gauche l'herbe, les vallées, la vastitude. Bienvenu-e-s dans le Montana, état qui tient son nom de l'espagnol Montaña, « montagne ». Un western ? Non, plutôt "Good morning Livingston", un bled de 7000 habitants. Au milieu y coule la rivière Yellowstone. C'est beau comme Tulle mais avec de la neige et des températures de quinze degrés en dessous de 0. Le speaker de la radio locale en rit presque : l'eau des chiens gèlent dans leurs gamelles, leurs langues enflent dans leurs gueules. Une prison de glace, paradis des vétérinaires et des marchands de vêtements Thermolactyl.

Des chiens, il y en a plein. Des compagnons de vie qui ronflent sur les canapés ou courent derrière les tracteurs. En laisse dans les villes, en liberté dans les champs. Mais toujours là pour combler la solitude de leurs maîtresses. Solitude acceptée, recherchée même. Si ces femmes avaient portées stetson et santiags plutôt que bonnets péruviens et bottes en caoutchouc, on les aurait dit libres. Inspirés de trois nouvelles de Mailie Meloy, une écrivaine du cru, ces quatre portraits de femmes tracent des lignes imaginaires fuitant à l'infini. Plans et existences mangés par le ciel et les Rocheuses,  "big sky country", espaces  de silence, film à peine choral - dans le Montana tout est loin - Certaines femmes fascine. Du cinéma qui ne fait pas de cinéma, pas d'esbrouffe, une caméra comme une caisse enregistreuse se contentant de montrer, de donner à voir, et non de raconter.

Il faut dire que tous ces personnages portent leur âme sur leur visage, des visages-paysages. Celui de Laura Wells - Lula sans Sailor, l'avocate, visage coupé à la serpe et creusé par les affaires perdues, celui de Gina Lewis rêvant de châteaux dans le grand Ouest, celui de Jamie, l'éleveuse de chevaux. Sur son visage, ce qu'il reste de l'Amérindie, sans amertume, les yeux rivés sur l'ampoule nue du plafond, perdus dans le vague des songes. Quand elle croisera les yeux de Beth Travis, une jeune avocate précaire qui fait quatre heures de route pour venir donner des cours du soir, elle s'y croira un peu dans ses rêves. A la fin, Jamie, la princesse charmante, n'enlèvera pas sa dulcinée sur son cheval. Pour Gina, il faudra attendre encore pour la maison au Canada, si proche pourtant, contemplative devant son tumulus de grès. Un dernier face-à-face réunit Laura et son client, au cerveau bousillé par un accident de travail, éconduit par la justice des hommes. Un milk shake, une promesse de lettre - bien qu'on ne sache pas quoi se raconter. C'est rien mais c'est déjà beaucoup.