On a retrouvé la vraie interview de Mélenchon donnée à Famille chrétienne.

Jusqu'au premier tour de la présidentielle, Famille Chrétienne rencontre les principaux candidats. Un fossé bioéthique sépare Jean-Luc Mélenchon des chrétiens fidèles à l’enseignement de l’Église. Mais le candidat de la gauche radicale rappelle son attachement à l'égalité des droits de tous les couples mariés en matière de parentalité et de filiation.

Vous avez plusieurs fois noté que la Manif Pour Tous avait été un catalyseur politique pour de nombreux Français. Qu’avez-vous envie de leur dire ?

Aucun responsable politique ne peut passer à côté du phénomène qu’a attesté ce mouvement. Un mouvement d'une rare violence qui a ému tous les étrangers/ères vivant en France et venant de pays où le mariage pour tous les couples avait déjà été adopté. Je pense à l'Espagne par exemple, monarchie constitutionnelle si catholique. Un pays où la Vierge Marie est au coin de chaque rue. Où le mariage des couples de même sexe est autorisé depuis 2005. Où la PMA est ouverte aux couples de femmes depuis 2006. Bien sûr la communauté des catholiques, emmenée par les prélats et les évêques, est descendue dans la rue. Mais a-t-on vu des manifestant-e-s s'enchaîner aux grilles du Congrès des Députés à Madrid ? A-t-on entendu des slogans tels qu'ils ont été hurlés en France, à Paris, dans l'une des villes les plus visitées au monde ? Quelques-uns pour mémoire : "Flamby, la polygamie c'est interdit",  "Apprends à nos garçons à compter, pas à jouer à la poupée", "François, recule pas, les homos sont derrière toi", "la France a besoin d'enfants, pas d'homosexuels", "Aujourd'hui, la théorie du genre. Demain, les bienfaits de la pédophilie", "Et demain, j'épouse ma chèvre"... Enfin ! Si la Manif pour Tous a été un catalyseur, elle a catalysé haines et rejets. Faut-il que je vous offre le Rapport annuel sur l'homophobie paru en 2014 :  le nombre de témoignages faisant été de LGBTphobies a littéralement explosé en 2013. Plus de 3 500 témoignages reçus, une hausse de 80 % par rapport à 2012 ! Plus d'une agression physique tous les deux jours !

C'est un phénomène politique qui n'a rien à voir avec le spirituel, bien qu'il s'en revendique. A la différence du spirituel, la religion est d'abord affaire de pouvoir et de privilèges.  Avec la Manif pour Tous, je fais le pari positif du malentendu. Vous savez à la manière Pascal, le métaphysicien janséniste. Ça vous parle Pascal, non ? Lui a fait le pari de l'existence de Dieu. Et bien moi je fais le pari que vous n'avez rien compris à la loi Taubira. Sinon, autant dire que vous n'êtes qu'un ramassis de fanatiques pétri-e-s de préjugés homophobes, ce que je ne peux pas croire. Être chrétien-ne et exclure l'autre, c'est contradictoire non ? A moins que votre fameux  "Aimons-nous les uns les autres" soit aussi menteur que l'égalité prônée aux frontons des mairies. Amour universel et égalité sous conditions. Le mariage est l'acte juridique reconnaissant une union entre personnes dont le but est de construire un cadre de vie conjugué. Je ne vois pas en quoi, dans un pays laïque, les catholiques viendraient donner leur avis à ce sujet. Vous n'avez pas le monopole de l'institution du mariage. 

 

JM Mélanchon

 

Le reproche des manifestants portait surtout sur la filiation...

Je ne suis pas dupe du prétexte ! Je sais bien qu'en France le mariage est le cheval de Troie de bien de droits en matière de filiation : droit à l'adoption, reconnaissance des enfants, partage de l'autorité parentale... Pour mémoire, je vous rappelle que je suis à l'origine de la première proposition de loi déposée au Sénat  tendant à créer un contrat de partenariat civil. C'était le 25 juin 1990. Cinq ans avant la proposition à l'Assemblée du CUS (Contrat d'union sociale), neuf ans avant l'adoption du Pacs. Les slogans brandis lors de la manif anti-pacs le 31 janvier 1999 - "Si le pacs s'impose, la société explose", "Pacs adoptée, famille sabotée", "Couple pacsé, enfance trompée", - "Deux mamans ou deux papas, bonjours les dégâts", ça vous rappelle quelque chose ?  Souvenez-vous aussi qu'il a fallu que la gauche, via Elisabeth Guigou alors ministre de la Justice, promette que le Pacs n'aurait aucune incidence sur la filiation et l'état des personnes... La réalité est qu’il y a depuis longtemps des enfants élevés par des parents homosexuels. Et que l'intérêt supérieur de l'enfant exige des lois, des lois qui rendent tous les enfants d'une cour de récré égaux en droits. Voilà les raisons pour lesquelles nous avons milité en faveur du mariage pour les couples de même sexe. Et maintenant vous souhaiteriez revenir à un "pacs élargi" ? 

Moi ce que je vois, c'est que les couples homosexuels sont encore obligés de se marier pour prétendre reconnaître leurs enfants, alors que les couples hétérosexuels non. C'est marrant qu'au nom d'une présupposée égalité, on crée encore des différences de traitement... Sans parler de l'accès à la  APM et à la PMA, réservé encore en France aux couples hétérosexuels. En ce qui concerne la GPA, je suis plus mesuré. Pour moi, c’est la porte ouverte à un nouveau commerce du corps des femmes. Je veux bien en douter si on me présente une femme milliardaire acceptant de faire un enfant gratuitement pour une femme pauvre d’un bidonville…

 

Mais effacer la filiation d’un enfant, le priver de son père ou de sa mère, est néfaste pour lui !

Je l’entends. C'est affreux sans doute de priver un enfant de son père ou de sa mère, à condition bien sûr que ce père ou cette mère ne soit pas toxique. Mais là encore j'espère un malentendu. Le père ? La mère ? C'est-à-dire ? Celui ou celle qui l'a conçu ou celui ou celle qui l'a élevé ? Parce que ce n'est pas tout à fait pareil. La réforme ne gomme pas la réalité biologique qui fait naître un enfant d'un rapport fécondant entre un homme et une femme. D'autre part, on n'a pas attendu les familles homoparentales pour voir des exemples d'enfants  élevés dans l'amour par des hommes ou des couples de femmes.

J'y oppose un autre regard fondé sur l'expérience. C’est la vie qui m’a amené à trancher ces questions importantes. J’ai été membre de la commission d’adoption d’un Conseil général, j’en ai démissionné parce que je ne me sentais pas capable de refuser un enfant à l’un des demandeurs. Autre exemple plus rude : la question de l’accès aux origines. Je vous rappelle que si la France, dans le cadre d'une PMA avec tiers donneur, n'a pas encore légiféré sur la levée de l'anonymat du donneur, de nombreux pays européens, mais aussi les Etats-Unis et le Canada, ont permis que les places de chacun - parents, donneurs et enfants, sont clairement reconnues, et que le droit d'accès aux origines soit possible. Dans le cadre de l'adoption, c'est pour moi une autre histoire. C’est une brutalité inouïe d’imposer à une femme de confirmer son choix d’abandon des décennies plus tard, alors qu’elle a eu le courage de mener sa grossesse à terme et de mettre cet enfant au monde. Au total je ne suis donc pas sûr que la question de l’effacement de la filiation soit si décisive. Tout le monde se sait né d’une femme. La présence des modèles masculins est peut-être un besoin pour la construction de soi. Mais on y répond facilement par la présence des hommes de sa parentèle ou de son entourage. Entendez que mon point de vue n’est pas abstrait ! Les gens comme moi ont des enfants, des petits-enfants, nous les chérissons, nous avons aussi à gérer toute cette fabuleuse aventure.

 

P.S : A dire vrai, l'interview originelle a été quelque peu remaniée et écourtée. L'originale est à lire (ou pas) ici