Médias et transgenres, le conte est presque bon

Depuis quelques mois, les émissions sur les transidentités abondent. France 2, Franceinfo, Arte, France 5, France Inter, jamais semble-t-il les médias ne se sont autant intéressés au sujet. Et c'est payant. Le documentaire diffusé en prime-time par France 5, le 10 janvier dernier, a rassemblé plus d'un million de téléspectateurs, une audience qui a propulsé la chaîne en tête des audiences de la TNT.

Qui pour se plaindre de cette visibilité offerte aux personnes transgenres quand on connaîtra ces statistiques alarmantes ?

65 % des personnes transgenres ont cherché à mettre fin à leurs jours. Parmi elles, 19% étaient âgées de moins de 18 ans

50 % des personnes transgenres ont été violées

57 % des personnes transgenres sont rejetées par leur famille, 55 % par leurs employeurs-euses

Le rejet, la marginalisation, l'ignorance, le manque d'écoute, la honte, la haine de soi... Comment peut-on supporter de telles données dans un monde qui s'enorgueillit de combattre la violence, la cruauté, l'inhumanité dans ses moindres recoins, jusqu'aux paniers de nos chats et de nos chiens ?

Saluons alors l'initiative des uns et des autres pour mettre sur le devant de la scène les vies transgenres. Juste deux ou trois efforts/ajustements et le conte sera bon

  • Attention à certaines phraséologies : Le reportage diffusé sur France 5 n'était pas inintéressant - entre autres dans la confrontation entre la façon dont sont accompagné-e-s dans leur parcours les adolescents-es transgenres aux Pays-Bas et en France - mais pourquoi ce titre " Devenir il ou elle ?" : Voici un titre bien normatif et binaire pour aborder un sujet complexe. J'entends déjà les objections tout-venantes  : "Ben quoi ? ça parle à tout le monde. un trans c'est bien quelqu'un qui change de sexe ? Une femme qui devient un bonhomme, ou un bonhomme qui devient une femme ?" D'où certaines réactions devant le petit écran : "Lui/elle c'est raté/c'est réussi" ou  "On dirait un trav, mon voisin avec une perruque, ma voisine gouine"  etc.

> Réussi ? Raté ? Par rapport à quoi ? Par rapport à des normes si peu naturelles et si construites ? Oui aux personnes trans pourvu qu'elles se conforment aux stéréotypes de genre ? Ce que beaucoup d'entre elles d'ailleurs sont contraintes de faire pour se sentir en accord avec elles-mêmes et acceptées par les autres. Toute transition est d'abord transition sociale.

> Autre expression trop souvent entendue et source de confusions : On ne naît pas garçon ou fille. On est assigné garçon, assignée fille à la naissance, en vertu du sexe que l'on a entre les jambes. Ainsi ne change-t-on pas de sexe ; on règle son apparence - avec des latitudes nombreuses - sur son intime conviction. On parle de "réassignation", et non de "changement", entre besoin de conformisme et affirmation de sa singularité.

  • La tendance est dénoncée depuis des années, quand Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, avait annoncé en mai 2009 que "la transsexualité" (c'était alors le terme employé) ne serait plus considérée en France comme une maladie mentale. Dès lors la presse, la télévision, la radio, s'étaient mises en quête de parcours individuels, retenus pour le côté sensationnel. La question des transidentités était ramenée au cas par cas ; les enjeux sociétaux, politiques et culturels mis en sourdine, comme le déplore ici  Brigitte Golberg, la fondatrice du collectif Trans Europe. D'accord pour donner la voix aux sans voix. Il est temps d'élargir la focale du domestique, du particulier au politique et au collectif : évoquer clairement les discriminations subies par les personnes transgenres et les lacunes de la loi dans leur condamnation, les conditions pénibles d'un suivi médical imposé et les conditions du changement d'état-civil. S'il ce dernier a été facilité par la loi de Justice du XXIe siècle - à savoir que la personne transgenre n'est plus contrainte de passer entre les mains d'un chirurgien pour changer de nom - il est encore dépendant de la bonne volonté des juges. 

 

  • Lutter contre les préjugés transphobes et contre la transphobie est l'affaire de tous et de toutes. Comment ? En veillant déjà à ne pas se tromper de mots, au risque de se tromper sur les choses. En se souvenant aussi que ces préjugés et cette haine des personnes transgenres sont actives dans toutes les classes de la société, partagés par toutes les orientations sexuelles. Il existe des gays et des lesbiennes transphobes, des féministes transphobes comme les TERFs, féministes radicales qui excluent les femmes transgenres. Exclusion affligeante quand on saura que les personnes transgenres assignées garçons à la naissance sont bien plus moquées, humiliées, rejetées, violentées que les personnes transgenres assignées filles à la naissance.

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