- Dans le dernier film d'Olivier Assayas, il n'y a presque que des femmes. Les mecs sont fantomatiques - un peu comme le scénario et les dialogues - tout à tour frère défunt, amant éconduit tendance serial killer, amoureux skypé ou petit ami de remplacement après que le premier a passé l'arme de l'autre côté, à cause d'un ventricule gauche défaillant. Elles discutent beaucoup entre elles, et pas seulement d'hommes et de sapes. Personnal Shopper passerait-il le test de Bechdel haut-la-main ? Si l'on considère que mimiques, froncements de sourcils, regards interrogateurs et phrases réduites à un sujet, un verbe et parfois un complément est le summum de la rhétorique, alors oui notre film l'emporte. Vous me direz que ça ne peut pas être pire que la Mila Jovovich de Besson, ânonnante tout au long du Cinquième élément. C'est vrai mais je vous dirai qu'a priori on attend autre chose chez Assayas que chez Besson.
- En fait, on retrouve chez Assayas ce que Virginie Despentes dénonce chez les écrivains : ils imaginent toujours des héroïnes avec lesquelles ils aimeraient coucher. Pour ceux et celles qui ne connaissent pas encore le concept du "male gaze" - mot à mot "le regard mâle" - c'est maintenant. On doit l'expression à Laura Mulvey dans son essai Visual Pleasure and Narrative Cinema, paru en 1975. Il renvoie à l'idée que la caméra est façonnée par l'inconscient d'une société hétéro-patriarcale. Ainsi prend-elle plaisir à les femmes à des blasons - visage, bouche, seins, fesses - expression de la pulsion partielle et de la pulsion scopique. Ou autrement dit comment un cinéaste réalise des films avec sa bite dans la main gauche. On s'est beaucoup énervé-e contre La vie d'Adèle d'Abtellatif Kechiche, et plus récemment contre le Mademoiselle de Park Chan-wook, il me semble que le dernier film d'Assayas mériterait de se faire remonter les bretelles, histoire d'éviter les pantalons glissant jusqu'aux chevilles, à la manière du modémiste Robert Rochefort dans un magasin de bricolage de la banlieue sud. (De mon côté, ce regard-là que je supporte très bien chez Wong Kar Wai ou chez Hou Hsiao Hsien, fascinés par Maggie Cheung ou Shu Qi - chez Kechiche aussi pour les raisons que j'ai données ici - m'insupporte quand il n'est qu'une manière de combler du vide.)
- Ok, c'est dur de financer un film. De là à transformer son spectateur/sa spectatrice en lecteur/lectrice de Vogue dans la salle d'attente de son dentiste, faut pas pousser. D'où la sublime ironie de cette réplique de Kristen Stewart quand elle dit ne pas vouloir travailler dans un magazine de mode parce qu'il appartient aux annonceurs et non aux lecteurs. On a connu des mises en abyme moins faux-cul. Film financé par Chanel (dont Kristen Stewart est "l'égérie" comme on dit ), Cartier, et quelques boîtes phares de la Silicon Valley. Faut bien être de son temps et filmer tous ces écrans qui font écran à la caméra. Textos (envoyés depuis des téléphones à la pomme), Google et Skype, pourquoi pas, à condition que l'indigence de ce qui s'y échange (dans combien de temps tu viens me rejoindre, le désir qui se nourrit d'interdit...) ne permettait pas de vendre à tous ces annonceurs du temps de cerveau humain disponible.
- D'où des invraisemblances abracadabrantesques : dans la vie filmée par Assayas, on peut piler sec avec son scooter devant la boutique Cartier de la rue de la Paix, laisser les clés sur l'engin et entrer en trombe dans la boutique pour en sortir trois minutes plus tard avec les clés du scoot miraculeusement réapparues et des sacs bourrés de bijoux, embarqués à bout de bras comme si on venait d'acheter un legging et une écharpe chez Mango. Assayas filme d'une main distraite, Kristen Stewart fait tout d'une main : ouvrir une bière - qu'elle ne boit pas - passer les portiques ratp sncf, se saisir de cintres, porter les paquets, répondre à ses textos, se masturber. Ah la scène de masturbation ! Esquissée, porno chic bien pubard. C'est connu, porter une robe de créateur, ça fait mouiller, hein les filles ?
- Enfin, avec Assayas, même le sultanat d'Oman et les environs de Mascate deviennent fantomatiques. Elle est belle la vision binaire entre la matière et l'esprit. Le dernier plan ferait presque passer les pubs pour le café pour des chefs-d'oeuvre de composition. Ouf, c'est fini, il était temps. La vessie pleine et une envie dingue de retrouver tes vieux DVD, tu regretterais presque de ne pas être resté-e sous la couette à mater Le diable s'habille en Prada ou Ghost. C'est dire.