Des poupées et des petits garçons : merci à Guillaume Champeau

 

Guillaume Champeau est journaliste, fondateur du site Numerama.  A priori Guillaume est plus versé dans le domaine du numérique que dans celui des études de genre : "Avec ma femme, nous ne sommes pas des militants conscients et actifs de l’égalité entre les genres."  Ainsi l'anecdote qu'il a postée hier sur son blog peut d'abord étonner. Pas quand on saura que son récit lui a valu des attaques violentes sur Twitter, après qu'il a confié que son garçon de 4 ans, d'abord perturbé par le code couleur des magazines de jouets, n'avait pas osé demander une poupée au père Noël. Dans la foulée,  le papa avait posté un tweet dénonçant les stéréotypes de genre.

 

 

Son témoignage, que j'ai lu ce matin, a achevé le travail de sape commencé par le rhume de saison : il m'a clouée au lit. Moi aussi, j'ai connu un petit garçon comme celui de Guillaume Champeau. Il n'avait pas trois ans qu'il passait ses journées à coudre et à coiffer des poupées. Sauf que lui n'a pas eu la chance d'avoir pour père Guillaume. Vite remisées au placard les dolls, avec le fil, les aiguilles et les tissus. Remisées un soir où le pater familias a dû s'agacer plus que de coutume : les poupées c'était pour les filles. Ou les tafioles. Quand le petit garçon a grandi, sans jamais aimé ni le foot ni l'odeur du cigare, le pif collé dans Points de vue et images à mater les robes de princesse, il s'est mis au tricot. Avec beaucoup de réussite. Est-il devenu pédé ? Je ne sais pas, je n'ai jamais évoqué avec lui son orientation sexuelle. Ce que je sais, c'est qu'il s'est marié, a eu des enfants et ne s'est jamais plaint, du moins à voix haute, de ne pas être gay. En revanche, encore plus aujourd'hui que la maladie est là, et lui fait répéter ce qu'il vient de dire, croyant livrer un scoop à l'assemblée, il s'en plaint très souvent : il aurait voulu être couturier. On aurait vu ce qu'il était capable de faire, il les aurait toutes habillées, il avait du talent, autant que Christian Dior ; mais son père, saint homme pourtant, était un homme à l'ancienne, c'est la faute de personne, il ne pouvait pas comprendre. L'orphelinat, la guerre, les préjugés d'une époque.

Ce petit garçon, je l'ai connu bien longtemps après le carnage des origines et des premiers jeux interdits. Après les joies de l'enfance quand, au bout du énième "regardez-moi" l'enfant surprend dans les yeux de ses parents un éclair d'assentiment et de fierté. Le genre d'éclair qui vous met au monde pour de bon.

Ce petit garçon c'est mon père. Toute sa vie n'a été que renoncements, souffrances, violences aussi, envers lui et les autres. Beaucoup envers les autres. Souffrances et violences que j'ai fini par ne plus supporter et fuir. C'est mal. C'est.

poupées

Si d'abord les réactions au tweet de Guillaume Champeau ont été bienveillantes, et les retweets nombreux, les commentaires n'ont pas tardé à se faire trolls. Ce qui a semblé déplaire avant tout, c'est que le petit garçon de Guillaume préférât les Barbies aux poupées Musclor. Symptôme d'un manque de virilité. Et qui dit manque de virilité dit bien sûr maladie d'homosexualité.  Voilà pour le concentré de violence, de bêtise et de haine. Une haine gratuite et en pure perte de l'autre, de ce qui fait son unicité et son originalité. Le papa-journaliste en a publié quelques-uns de ces trolls, dont un seul est signé autrement que par un pseudo martial ou identitaire - c'est à cet anonymat d'ailleurs qu'on reconnaît le courage trollesque. Il s'interroge :  "Encore une fois, je ne suis pas pour qu’on censure les imbéciles. J’ai toujours trouvé que la censure était contre-productive et qu’il fallait savoir affronter la réalité des discours, même ceux qui nous déplaisent, pour mieux leur répondre. Mais on a un sacré travail à faire. Par où commencer ?"

Par où commencer ? Très bonne question. Question d'intérêt général.  Une certitude ce soir, comme une lumière à travers les brumes de mon cerveau enrhumé : fuir les êtres, par lâcheté, par amour, par peur, c'est une chose. Mais on ne peut pas fuir devant ce qui diminue ces êtres, les broie, les laisse pour morts toute leur vie. Le sexisme est criminel, les stéréotypes, les préjugés, les visions binaires, à combattre sans relâche, quitte à se répéter. Avec tendresse, pédagogie et fermeté.

Dernière chose : merci à vous Guillaume d'avoir passé commande au père Noël, et au père Noël d'avoir accusé réception du vœu de votre petit garçon ; ça va faire un heureux pour longtemps, et même si la Reine des Neiges finit au bout de quatre mois sans couronne, dans un recoin de la chambre. C'est le sort de toutes les poupées d'être délaissées pour laisser les enfants grandir.