Jeudi dernier, François Fillon était l'invité de L'Emission politique sur France 2. Face à Aline Kernel, mariée à une femme et maman de deux enfants, il a précisé qu'il ne reviendrait pas sur la loi Taubira, mais qu'il la modifierait. En question, "la filiation" qu'il affirme vouloir " remettre en ligne". J'ai cherché dans le dictionnaire, l'expression n'existe pas. Alors, dans le petit Fillon illustré, qu'est-ce que ça veut dire "remettre la filiation en ligne" ? Deux choses
1° Revenir à l'adoption simple pour les couples homosexuels.
2° Réserver la procréation médicalement assistée aux couples hétérosexuels, "pour raisons médicales".
Autrement dit, revenir en arrière, avant la loi n°2013-404 du 17 mai 2013, dite "loi Taubira" et notamment sur l’article 6-1 du Code civil énonçant que « le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l’exclusion de ceux prévus au titre VII du livre Ier du présent code, que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe. »
Que dire ?
- D'abord que si nous avons été si nombreux-ses à militer en faveur du mariage pour tous et pour toutes, c'était avant tout parce que cette égalité de tous les couples devant le maire ou la mairesse ouvrait les droits à l'adoption plénière... réservée jusqu'alors aux couples hétérosexuels.
- Ensuite, et Aline Kernel l'a rappelé, que ce retour à l'adoption simple créerait des inégalités entre les enfants de couples hétérosexuels et les enfants de couples homosexuels : l'adoption simple est révocable sur l'appréciation d'un juge, elle ne permet pas non plus aux enfants adopté-e-s de bénéficier des mêmes droits au regard de la succession.
- Enfin, qu'au-delà de ces questions juridiques, la conception fillonesque de la famille date : l’adoption plénière rompt définitivement tout lien avec les parents biologiques de sorte que le lien de filiation entre l’adoptant et l’adopté se substitue au lien de filiation originel. Et ça Fillon ne peut l'envisager. Pour lui, pas de filiation autre que biologique. Il l'a dit et redit, rêvant d'un texte qui entérinerait l'affaire : "Un enfant est toujours le fruit d'un père et d'une mère". Pour lui, "géniteur" et "parent", "procréation" et "engendrement" ne font qu'un, la différence des sexes est le préalable à toute filiation. En bon démocrate, il ne peut revenir sur le mariage pour tous ; en bon catholique, il vote, dans le cas des couples homosexuels, pour l'adoption simple, ne reconnaissant qu'un modèle "pseudo-procréatif" de filiation. Avec peut-être aussi cette idée sous-jacente que si l'enfant, horrifié-e un jour d'avoir été éduqué-e, aimé-e, encouragé-e par deux femmes ou deux hommes, puisse en référer au juge. Le voilà "le droit de l'enfant" selon François Fillon.
Comment peut-on défendre les droits de l'enfant et proposer des lois qui en discrimineraient certains-nes ?
La clé de l'énigme se trouve dans l'échange suivant : Alors qu'il évoque les "droits de l'enfant", François Fillon fait allusion à la convention européenne sur l'exercice des droits de l'enfant "qui dit qu'un enfant a toujours le droit de connaître son père et sa mère". Quelques minutes plus tard, Alice Kernel précise que ses enfants, issu-e-s d'une PMA faite à l'étranger, ont "accès à leurs origines" parce qu'elle a signé "une convention pour ça", avec l'accord des donneurs.
Si la France, dans le cadre d'une PMA avec tiers donneur, n'a pas encore légiféré sur la levée de l'anonymat du donneur, de nombreux pays européens, mais aussi les Etats-Unis et le Canada, ont permis que les places de chacun - parents, donneurs et enfants, sont clairement reconnues, et que le droit d'accès aux origines soit possible. Et Aline Kernel de préciser que cette impossibilité en France est "un choix politique" et que "les réformes doivent aller dans ce sens plutôt que de remettre en question les foyers qui existent."
François, tu l'as bien compris, et en ça, tu n'es pas si passéiste : la famille ne naît plus aujourd'hui du mariage mais de la filiation. Fais un effort pour être cet homme d'avenir que tu prétends être. Cette filiation, socle de la famille contemporaine, peut être biologique, adoptive, avec donneur. Pour le reste, et tu l'as reconnu d'ailleurs, un-e enfant peut être heureux-se au sein de nombreuses modélisations familiales. Alors, finis-en avec cette culture du secret : dans l'intérêt de l'enfant, défends plutôt des lois qui permettraient l'accès à ses origines biologiques plutôt qu'une loi qui discriminerait des dizaines de milliers d'enfants.