Journée du coming out : To be out or not to be ?

11 octobre. Journée internationale du coming-out. Le coming-out... Qu'est-ce que c'est que ce truc ?

Passage obligé de la littérature, scène attendue au cinéma, classique du genre, le moment du coming-out est aussi pour les homosexuels-les, « dans la vraie vie », un rite de passage, une épreuve du feu, dont ils/elles ne ressortent que très rarement sans y avoir laissé quelques plumes. Certains historiens de la condition homosexuelle voient l’obligation de dissimuler un temps sa sexualité comme une fatalité. Quand l'hétérosexualité apparaît comme naturelle, se taire est l'expérience la mieux partagée entre ceux et celles dont l'orientation sexuelle diffère. Se taire qui revient à se planquer, à rester dans le placard, selon la métaphore consacrée.

Le « closet » anglo-saxon, l’« armario » hispanique, le « placard » hexagonal recèlent moult dilemmes et cas de conscience : y rester, et vivre heureux parce que caché – selon le dicton populaire - au risque de demeurer méconnu-e de ceux qui nous entourent. En sortir, et affronter le regard des autres, au risque d’être mésestimé-e, désaimé-e, jugé-e, ostracisé-e… Quoi qu’il en soit, la métaphore du placard dit assez bien l’exiguïté de la situation, son inconfort, et le peu d’issues possibles. C’est l’amant des vaudevilles, tapi sous les chemises au col amidonné, se planquant pour éviter d'être rossé par le mari. Le placard, lieu des amours « illégitimes », celles qui n’ont pas le droit de cité, sans que pour autant personne n’ignore leur existence. Dans l’imaginaire bourgeois, tout est ainsi pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Ouvrir les battants du placard, en sortir, être out, ne s’envisagent pas uniquement sous le prisme collectif et historique mais aussi selon une topique individuelle et biographique. Certaines y verront une façon d’être au plus près d'eux/d’elles-mêmes, d’autres considèreront le fait de se dire comme un geste militant, à valeur d’exemple, une façon de se rappeler à la mémoire d'une société hétéronormée. Les plus irréductibles d’entre eux/elles argueront que ce qui se passe dans leur chambre à coucher ne regarde qu'eux/qu’elles. Enfin, il y a tous ceux/toutes celles qui aimeraient tant clarifier leur situation affective, mais qui, tétanisé-e-s à l’idée d’affronter la désapprobation de l’autre, n’en finissent pas de tourner leurs langues dans leurs bouches, à l’abri des regards indiscrets. Se dire ou non, se dire à qui, se dire quand, se dire à chaque fois, that is the question.

10 janvier 1972 : dans un entretien publié par le Nouvel Observateur, un homme débute son plaidoyer par ces mots : « Je m'appelle Guy Hocquenghem. J'ai 25 ans... . » Il y raconte son itinéraire personnel, qui l’a mené des bancs de l’École normale supérieure au FHAR. « Je suis homo, et alors ? » Les lesbiennes, à l’époque, bien que très impliquées dans « la révolution homosexuelle », restent plus discrètes. Pas tant par honte que parce que la société française, encore sexiste, ne leur donne pas la parole ou ne sollicite que très rarement leur avis. Le mardi 21 janvier 1975, après avoir été deux fois déprogrammés, Les Dossiers de l’écran d’Armand Jammot et d’Alain Jérôme s’intéressent à la question homosexuelle, en prime time. Ce n’est pas la première fois que le petit écran se penche sur le sujet. Un an et demi auparavant, le 29 novembre 1973, c’est la première chaîne qui l’avait déjà évoquée, sous l’angle « scientifique », comme d'habitude. L’homosexualité, ce "douloureux problème", on connaît la chanson. Cette fois la petite lucarne veut ratisser large et traiter le problème autrement que par le petit bout de la lorgnette des médecins. Sur le plateau, des écrivains (Yves Navarre et Roger Peyrefitte), des ecclésiastiques (le père Xavier Thévenot), des médecins (un neuropsychiatre quand même), des politiques (le député Paul Mirguet, auteur de l’amendement qui classe l’homosexualité dans les « fléaux sociaux »)… Au final, un record d’audimat battu (19 millions de téléspectateurs)… mais pas une seule femme sur le plateau ! Jean-Louis Bory enrage et dénonce leur absence comme du sexisme. Plusieurs fois dans l’émission, il évoquera d’ailleurs l’homosexualité féminine . Si au début du XXe siècle, âge d’or du lesbianisme s’il en fût un, les femmes s’affichaient en compagnie de leurs amantes sans ambages, elles sont venues plus tard que les gays à la confession publique.

Et pour cause ! Pas simple de dire son homosexualité quand on saura, comme nous l'apprend Le Rapport annuel sur l'homophobie, que  "les violences verbales et les agressions se produisent essentiellement dans des contextes liés à la vie quotidienne, en famille, dans les lieux publics, le voisinage, au travail et dans le milieu scolaire, où les victimes sont de plus en plus jeunes." Du temps où je menais l'enquête pour un livre que j'écrivais sur les femmes qui aimaient les femmes, toutes les filles que j'ai rencontrées, quel que soit leur âge, leur vécu, leur culture, m'ont dit au mot près la même phrase : "Quand j'ai compris, j'ai compris qu'il fallait que je ferme ma gueule." Un hasard peut-être - malheureux à coup sûr - quand on saura que pour être partagée, l’expérience du placard n’en demeure pas moins d’une grande plasticité : on recense une multitude de situations singulières, qui varient souvent selon des critères socio-culturels ou géographiques. Il n'empêche : dans le placard, beaucoup y tourne en rond, cercle vicieux  si pénible à vivre que certains-nes d'entre eux/elles en crèvent. D'où la nécessité absolue de combattre encore et toujours les rejets et les haines qui isolent et enferment les homosexuels-les. Histoire de créer des courants d'air, d'ouvrir des portes, de filer à l'anglaise. Out of the closet.