Roland-Garros. Amélie Mauresmo/Billie Jean King vs Brahim Asloum/Mohamed Ali

C'est Billie Jean King qui remettait hier après-midi  le saladier à Garbine Muguruza, gagnante de la finale qui l'opposait à Serena Williams (7/5,6/4). Alors que Billie Jean King entre sur le court Philippe-Chartrier, François Brabant et Amélie Mauresmo se chargent des voix-off

FB : La légende du tennis américain, celle qui a tant fait...

AM  : pionnière

FB : ... pour l'évolution de ce sport, pour l'avènement de ce sport chez les filles

AM fait une remarque sur le bouquet que l'on remet à Billie Jean King, bouquet qui est la copie conforme de celui que la joueuse française a reçu deux heures et demi avant, honorée par le Hall of fame

FB rappelle les titres de BJK puis reprend : On parle souvent de la militante, BJK, celle qui a fait beaucoup pour la parité

AM : Bien sûr

FB : Mais c'était avant tout une sacrée joueuse, il ne faut pas l'oublier

Trois heures plus tôt, c'est le boxeur Brahim Asloum qui rendait hommage à Mohamed Ali. Au combat du siècle qu'il avait livré en 1974 contre George Foreman pour le titre de champion du monde poids lourds, The Rumble in the Jungle, organisé par Don King sous la coupe du dictateur Mobutu. A ce geste militant de balancer au fond d'une rivière la médaille d'or qu'il venait de remporter aux JO de Rome en 1960 pour protester contre ces restaurants ouverts qu'aux Blancs. Mohamed Ali, le "grand homme", comparé à Mandela, salué pour avoir "imposé une autre vision du monde".

L'hommage est mérité. Hommage d'un boxeur à un autre boxeur. Quel dommage que la tenniswoman Amélie Mauresmo n'ait pas eu la même verve pour parler de cette tenniswoman incroyable qu'est Billie Jean King. OK, elle n'est pas morte, mais il y avait quand même à dire.

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Rembobinage. Billie Jean, c'est qui ? La muse de Mickaël Jackson ? Que nenni. Elle aussi  a eu son match de légende. Appelé "la bataille des sexes". A chacun sa jungle. En 1973, un an avant Ali, elle rebat le caquet du jouer Bobby Rings, numéro un mondial au milieu des années 1940, qui la cherche : « Le tennis féminin est inférieur à celui pratiqué par les hommes, aucune joueuse en activité ne pourrait jamais venir à bout d'un retraité. La place des femmes est dans la chambre à coucher et dans la cuisine. Je veux battre Billie Jean pour tous les mecs qui vont se marier, dont les épouses ne les laisseront pas jouer au poker le vendredi soir ou aller à la pêche le week-end." Pour 200 000 dollars, l'intéressée relève le défi. Devant trente mille spectateurs et cinquante millions de téléspectateurs, elle colle au vieux machin trois sets (6-4, 6-3, 6-3). Avec elle, le tennis joué par les filles entre dans la cour des grands. Billie Jean crée le WTA.

Quelques années plus tard, en 1981, elle révèle son homosexualité. C'est une première dans le sport. Les sponsors lui tournent le dos (traduire : elle perd un max de blé) : Dans l'Amérique reaganienne, on ne veut pas de ces femmes-là comme ambassadrices.

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On pourra toujours dire comme certains que Bobby Rings avait  été payé par la Mafia pour se coucher, que le coming-out était d'abord le fruit de l'outing d'une amante cupide, et que, lors d'une conférence de presse, BJK, qui était mariée, avait d'abord préféré parler d'"erreur de jeunesse". Il n'empêche. Elle a tant fait depuis. En 2009, elle a reçu des mains de Barack Obama la plus haute distinction civile américaine, la médaille présidentielle de la Liberté, pour son combat en faveur des femmes et des homosexuels. CNN l'a nominée parmi « les sept femmes qui ont changé le monde », aux côtés d’Anne Frank et de Simone de Beauvoir.

Dommage qu'Amélie Mauresmo et François Brabant aient manqué le coche. Le monde du tennis, et celui du sport en général, demeure sexiste et homophobe. Dans une interview accordée au site  xsport.ua en juillet 2015, le joueur de tennis ukrainien Stakhovsky bavassait :  "Sur le circuit WTA, vous pouvez être sûre qu’au moins la moitié des joueuses sont lesbiennes. C’est pourquoi je ne mettrai jamais ma fille au tennis " rajoutant : " Il n’y a pas de joueurs gays dans le top 100 de l’ATP. C’est un circuit très fermé, ça se saurait. Vous voyez, chez nous, il y a une ambiance normale."

Quant à Djokovic, bataillant dur à l'heure où j'écris contre Andy Murray (entraîné il y a peu encore par Amélie Mauresmo), il avait repris en mars dernier les propos de Raymond Moore, le directeur du tournoi d'Indian Wells : "Les femmes ne font que profiter du succès des hommes. Si j'étais une joueuse, je me mettrais chaque soir à genoux pour remercier Dieu d'avoir donné naissance à Federer et Nadal qui ont porté le tennis si haut", justifiant la différence de salaires entre joueurs et joueuses de tennis : " Il y a d'avantage de spectateurs pour les matchs masculins, c'est la raison pour laquelle nous devrions gagner plus ".

 Amélie, il y avait à dire au sujet de Billie Jean King, non ?