PD et Prud'hommes : un jugement tiré par les cheveux.

Tu es à l'essai  depuis un mois dans un salon de coiffure. Un jour, tu reçois par erreur un SMS  qui parle de toi.  L'expéditrice est l'une de  tes patronnes.  Tu lis : « Je ne garde pas X., je le préviens demain, […] je ne le sens pas ce mec : c’est un PD, ils font tous des coups de p... »  (D'autres sources journalistiques parlent de "tours de pute", nous conviendrons ensemble qu'il y a 99,9 % de chance que les deux expressions soient synonymes) Le jour suivant, tu es viré.

Que fais-tu ?

Et bien tu saisis les prud’hommes afin que soit reconnu le caractère discriminatoire de la rupture de ton contrat. Quelques mois plus tard - le conseil a fait vite pour une fois - le jugement est rendu au nom du peuple français  : « Le terme de “PD” ne peut être retenu comme propos homophobe ».

Tu l'as donc dans l'os. Mais tu ne te décourages et rends l'affaire publique. En deux coups de cuillère à clics, la décision inique du Conseil des prud'hommes de Paris est tweetée des centaines de fois. Le peuple français en a ras la courge d'être caution de tout et n'importe quoi.

prud'homme

Reprenons, à l'adresse de mes petits chats prud'homaux et de mes petites chattes prud'homales censé-e-s représenter "le peuple français" :  je sais que le droit n'est pas votre métier, et surtout  que la langue a sa complexité.  Les quelques lettres d'un mot  ne valent rien en elles-mêmes,  hors de leur contexte d'apparition et de profération : Qui parle ? A qui ?  Où ? Quand ?  Sur quel ton ? ... plein de questions à se poser et qui font que le terme de "nègre" employé par le poète Senghor ne sera pas à entendre de la mème manière que prononcé par Laurence Rossignol ou Henry de Lesquen, que le mot de "pédé", dans la bouche de mon voisin amoureux de tous les mecs de la rue ne vaudra pas les "pédés" lancés par la Manif pour Tous. La langue a ses présupposés, ses implicites, sa toile de fond. C'est acté.

A présent, un petit exercice de décryptage.

Mécontente de son travail, à raison peut-être - ça, l'histoire ne le dit pas pour l'heure - la patronne de notre coiffeur à l'essai écrit : « Je ne garde pas X., je le préviens demain, […] je ne le sens pas ce mec : c’est un PD, ils font tous des coups de p... »

(Au passage, on relève le double strike, combo homophobe/putophobe. Cette dame parle comme une "poissonnière de la rue Longue" -  expression de ma grand-mère marseillaise, poissonniérophobe, en plus du reste)

Reprenons : disons qu'ici le terme est employé sans arrière-pensée stigmatisante, "PD" étant pour la dame synonyme d"homosexuel". OK. Mais le pronom  "tous" n'indique-t-il pas une généralisation clichéique ?  Ce n'est pas tant l'utilisation du mot "PD" ici qui est coupable, mais le lien établi par la dame entre une orientation sexuelle et un trait de caractère. C'est dans ce lien, dans ce rapport de cause à effet, que la discrimination homophobe fait son nid.

Pour ceux et celles qui auraient encore du mal à saisir toutes ces subtilités, je propose de pratiquer le test de la substitution, test très prisé des grammairiens quand il s'agit d'expliquer la notion de "nature de mots"

Imaginons que j'envoie un SMS dans lequel j'écris, à la place du mot "PD", le mot de "juif", d'"arabe", ou, puisqu'il est à la mode dans les bouches ministérielles, le mot de "nègre", ça donnerait les phrases suivantes  :

« Je ne garde pas X., je le préviens demain, […] je ne le sens pas ce mec : c’est un juif, ils font tous des coups de p... »

« Je ne garde pas X., je le préviens demain, […] je ne le sens pas ce mec : c’est un arabe, ils font tous des coups de p... »

« Je ne garde pas X., je le préviens demain, […] je ne le sens pas ce mec : c’est un nègre, ils font tous des coups de p... »

Si toujours rien ne vous choque, mes prud'hommes et mes prud'femmes, ne cherchez pas : c'est que vous êtes farci-e-s de préjugés  antisémites et racistes.  Et dans ce cas, merci de ne pas prétendre rendre votre jugement en mon nom.