C’était le 10 septembre dernier la Journée Mondiale de la prévention du suicide. A cette occasion, de nombreux papiers ont paru dans la presse LGBTQI, communauté très touchée par le suicide des jeunes, dont le taux est 4 fois plus élevé que chez les jeunes hétérosexuels-les. Un article en particulier a retenu mon attention, cosigné par Nicolas Rividi et Sylvie Fondacci-Monteiro. On entre dans sa lecture avec Amine, Magali, Monica, Jonas, un jour entrés dans la mort volontaire. Leurs prénoms ont peut-être été changés, ce qui ne change rien au fait que lorsque on est jeune et gay, jeune et lesbienne, jeune et bi, jeune et trans, la vie peut être difficile. Difficile au point de devenir invivable. J‘entends déjà les idiots s’écrier : Le suicide chez les homos / les lesbiennes / les bis / les trans ? La preuve que ce qu’ils/elles sont ne les rend pas heureux-ses.
Ce qui ne les rend pas heureux-ses, ce n’est pas ce qu’ils/elles sont mais ce qu’ils/elles vivent.
Il y a quelques années, pour un essai que j’écrivais sur l’amour entre filles, j’avais rencontré quelques-unes d’entre elles. A chaque fois que je les interrogeais sur la découverte de leur homosexualité, elles me répondaient la même chose. Quels que soient leur milieu socio-culturel, ethnique, leur parcours professionnel, leur âge. La même chose. Toutes. Au mot près : « Quand j’ai compris, j‘ai compris qu’il fallait que je ferme ma gueule. » Drôle d’éducation sentimentale que celle-ci, vécue dans le non-dit, le secret, souvent dans la honte, quand on devrait être tout à l’exultation de sa jeunesse, à l’écoute de son cœur battant et de son ventre cognant, au bonheur du conte.
Entre les mots que l’on ne dit pas, alors qu’on voudrait peut-être les dire – j‘aime, je suis aux anges, je plane - et ceux que l’on entend, alors qu’on ne le voudrait pas – malade, pervers-e, sale gouine/sale pédé – se sont construites les subjectivités homosexuelles, dont l’injure est constitutive. Des histoires de brimades, d’humiliations, de violences physiques et morales, j‘en aurais mille à raconter. Des Amine, Magali, Monica, Jonas j‘en connais. Enfin, pas tout à fait. Les miens sont encore là. Blessé-e-s mais vivant-e-s. Une chose est certaine : Aucun LGBTQI n’échappe aux remarques assassines ; et pour ceux et celles qui prétendraient le contraire, jurant n’avoir jamais été en butte au moindre reproche, ils ont dans leur entourage des ami-e-s pour lesquel-le-s être homo ne va pas sans être réduit au silence et à la dissimulation, moqué, battu, banni. En revanche, je ne connais pas pour l’instant d’hétérosexuel-le-s mis-e-s à mal par autrui à cause de leur orientation sexuelle. Il n’y a pas de rapport contre l’hétérophobie.
Oui, les mots tuent, mots coulés dans le moule d’une société aux préjugés et aux ignorances tenaces. Inutile de revenir sur la question ridicule posée par le journaliste Thierry Demaizière à Gareth Thomas, premier rugbyman à avoir fait son coming-out. C’était il y a deux semaines, dans l’émission Sept à Huit, à une heure de grande écoute, entre l’après-midi Drucker et la soirée blockbuster, heure toute choisie pour ravaler l’homosexualité au rang de la pulsion, « gênante » pour pratiquer le rugby comme pourrait être gênant de le pratiquer sans le short du surmoi.
Oui, Sylvie Fondacci-Monteiro sait de quoi elle parle quand elle rappelle dans l’article qui nous occupe que les mots tuent. Et qu’il faut les dénoncer. Avec Nicolas Rividi, le co-auteur de l’article et, comme elle, porte-parole de l'Inter-LGBT en charge de la lutte contre les discriminations, elle avait lancé en février 2015 une campagne choc pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur le fléau de la sur-suicidalité chez les jeunes gais, lesbiennes, bis et trans.
Inter-LGBT dont elle vient de se faire débarquer avec bien peu d’élégance à l’en croire. Il y a quelques mois c’est le collectif féministe FièrEs qui quittait la fédération regroupant une soixantaine d’associations militantes, las de son sexisme. Il n’est pas question ici de faire le procès de quiconque. Seulement de montrer qu’au sein même d’une communauté d’âmes composée d’êtres qui ont un jour cherché à fuir la violence de l’injure, la vie n’est pas toujours rose. Débats et scissions, pourvu qu’ils se déroulent dans le respect de chacun-e, sont signes de bonne santé démocratique. Le problème est ailleurs. Quand cette communauté vers laquelle ont migré de nombreux homosexuel-les et trans, passant de l’isolement partiel ou complet à une socialisation retrouvée, devient à son tour un lieu de moqueries et d’exclusion.
De nombreux préjugés sévissent aussi dans la communauté LGBTQI, ultra taxinomique, catégorisant, classant, étiquetant, habitudes à double-tranchant, saines quand il s’agit de montrer la diversité d’un milieu caricaturisé trop souvent par la pensée mainstream, dangereuses quand elles créent des clans, des tribus, des castes qui se regardent biaisées, ne se rencontrent plus, persiflent et excluent. Pêle-mêle on pourrait évoquer les préjugés à l’égard des butchs – trop masculines, des fems – trop féminines, des folles – trop caricaturales, des bis – trop girouettes, des gouines en général vues par certains PD – trop agressives, des PD vus par certaines gouines – trop chochottes, des trans – trop mal dans leur peau, des séropos, à éviter pour baiser… Aborder cette réalité – celle du rejet à l’intérieur même d’une zone refuge, d’une zone tampon – ne doit pas minimiser l’autre, cette réalité des violences du dehors. Seulement rappeler que vivre ensemble c’est accepter l’autre dans ses différences et sa singularité – pourvu qu’elles ne soient pas incitatrices de haine - souhait qui vaut pour chacun-e, quelle que soit son orientation sexuelle et son identité de genre, mais d’autant plus pour nous qui tous et toutes avons survécu un jour aux mots qui tuent. Amine, Magali, Monica et Jonas ne sont plus là pour nous en parler.