Le 26 juin dernier, à Amiens, une jeune femme et deux de ses amies sortent d’un restaurant. Une bande de garçons les accoste. Leur demande une cigarette. Un prétexte. Les insulte et tabasse l’une d’entre elles. Nez cassé. Insultée et tabassée parce qu’amoureuse de femmes. L’affaire aurait pu en rester là – comme trop souvent - si le dépôt de plainte de l’intéressée, effectué le soir même au commissariat de la ville, n’avait été rendu public. Cette femme, elle s’appelle Mélanie Hénique, elle est membre de l’équipe de France de natation.
L’attaque a été si soudaine, si rude, si traumatisante que la sportive ne peut pas rapporter pour l’instant la teneur des propos de ses agresseurs. Pour l’instant aussi dans les médias – du moins à ma connaissance – à l’exception d’un tweet posté dimanche soir par la ministre Najat Vallaud Belkacem, seul l’adjectif d’ « homophobe » a été utilisé pour qualifier cette violence-là. Toutes presses confondues, mainstream et LGBTQI. Presse elgébétique qui la première, avec raison, veille à ce qu’une chatte soit appelée une chatte. (Chers lecteurs, chères lectrices, veuillez me pardonner cette licence, mais j‘ai décidé à l’instant de féminiser toutes les expressions idiomatiques de la langue française) Avec la médiatisation de Conchita Wurst et de Caitlyn Jenner, de nombreux articles n’ont-ils pas paru ces derniers temps pour souligner les maladresses de journalistes ignorant-e-s quand il s’agit d’évoquer les vies des transexuels-les et des transgenres ? Après avoir salué en mai 2014 l’entrée du mot « lesbophobe » dans l’édition 2015 du Petit Robert, après avoir même parlé - à juste titre - d’ « étape historique », voilà que sans tiquer la presse LGBTQI délaisse le mot au profit de celui d’ « homophobe », se contentant juste d’ôter les guillemets de rigueur ailleurs (Merci à l’AFP, le guide-âne de l’info à chaud, chaude comme le pipi de chatte ).
L’agression homophobe dont la nageuse Mélanie Hénique a été victime l’autre soir - l’obligeant à déclarer forfait pour l’Open de France qui s’est tenu ce week-end à Vichy et perturbant sa préparation en vue des Mondiaux de Kazan, en août prochain - est une agression lesbophobe. Faut pas chipoter me direz-vous. Ben moi je chipote. Le chipotage j‘adore ça. Surtout quand il s’agit de chipoter avec les mots.
Le néologisme de « lesbophobie » a été créé en 1998 par la CLF (Coordination Lesbienne en France) en réaction à l’invisibilisation des lesbiennes dans la société, invisibilisation qui entraîne celle des violences à leur encontre. Si pour la CLF, la lesbophobie conjugue sexisme et homophobie en direction des femmes, je tiens à préciser que pour moi les LGBTQIphobies sont toutes des ramifications de ce même fléau social et culturel qu’est le sexisme, fascisme institutionnalisé (J‘y reviendrai bientôt). A l’origine des haines homophobes, lesbophobes, biphobes, transphobes – haines qui ne sont d’ailleurs étrangères à aucun milieu – la non-acceptation d’une sexualité ou d’une apparence divergeant des normes, c’est-à-dire des stéréotypes de genre. Nous pouvons tous et toutes en être un jour victimes, qu’elle que soit notre orientation et notre identité sexuelle.
La dernière édition du Rapport sur l’homophobie ne relate-t-elle pas les témoignages d’hommes et de femmes pris-es à parti parce qu’identifiés-ées à tort comme homosexuels-les ? C’est le cas de Mickaël, boxeur amateur, traité de « pédale » et frappé avec plus d’intensité lors d’un entraînement à cause de son short rose. Mais aussi d’Angélique, victime de commentaires salaces dans la rue parce qu’elle portait les cheveux courts, un treillis et un perfecto.
Plus une personne s’éloigne des normes ou des codes attachés à son sexe, plus elle risque d’être violentée en raison de sa singularité. Les lesbiennes qui n’ont pas et/ou qui ne font pas allégeance à la sainte trinité de « la féminité de toute éternité ça toujours été comme ça » - les cheveux longs, les ongles manucurés et les talons hauts – sont plus souvent sujettes aux agressions, verbales comme physiques. Pareil pour les gays traités de « folle », avec leur voix qui chaloupe comme leurs hanches, toujours plus discriminés, même à l’intérieur du milieu LGBT, que « l’ours » avec sa moquette torsale, ses rouflaquettes, ses 120 kilos de muscles et de barbaque montés sur burnes.
Quelle différence alors entre l’homophobie et la lesbophobie me demanderez-vous, si toutes les deux procèdent de préjugés sexistes ?
C’est que la plupart du temps la lesbophobie rend muette. En 2013, comme le rapporte l’Enquête paru en mars dernier sur la visibilité des lesbiennes et la lesbophobie, l’association SOS Homophobie « a reçu 3517 témoignages dont seulement 329 relatant des faits lesbophobes ». Non que les lesbiennes soient moins victimes de violences et de brimades, mais elles osent moins en parler. Pour des raisons multiples sur lesquelles je reviendrai dans un autre billet.
Une violence qui n’est pas nommée n’existe pas. Mélanie Hénique, elle, a parlé. Elle a brisé la loi du silence, loi partagée par tant de femmes, qu’elles que soient leur orientation et leur identité sexuelles. Elle a osé aussi en finir avec cette injonction faite aux homosexuels-les, toujours renvoyés à la rhétorique de la pudeur et de la discrétion. N’en déplaise au directeur technique national de la Fédération Française de Natation, qui, pour l’instant, n’a pas porté plainte, voulant selon ses dires, « jouer la carte de la discrétion sur cette affaire car c'est une histoire personnelle ».