La polémique courait depuis deux ans. Depuis que Philippe Charlier, médecin légiste spécialisé dans les morts "historiques" avait présenté une tête momifiée comme étant celle du roi Henri IV. Une tête desséchée, qui avait traversé les siècles et suivi un parcours incroyable.
Tout commence le 14 mai 1610, lorsque Ravaillac assassine en pleine rue Henri IV, qui se rendait en carrosse au chevet de Sully. Le roi meurt, les cérémonies funèbres suivent et le corps entame son dernier voyage vers la basilique Saint-Denis, là où reposent tous les illustres prédécesseurs d'Henri IV. Là où il repose d'ailleurs toujours.
Victime de la Révolution
Et la tête ? Comment a-t-elle été prélevée ?
On sait que les dépouilles royales ont été sérieusement malmenées pendant la Révolution française. En 1793, le député Barrère proclame qu'il faut « démolir les tombeaux des rois de France ». Dans cette période plus que troublée, il faut des symboles forts : la profanation des caveaux des rois et reines de France en est un. Le 12 octobre 1793, une foule de badauds se presse autour de la basilique et de sa crypte. On commence par Henri IV. Son cercueil de plomb recouvert de bois est ouvert. Le corps momifié est très bien conservé. Il est exhumé et présenté au public deux jours durant. Certains emportent une dent, une mèche de cheveux ou des poils de la barbe du roi pour les conserver précieusement.
On suppose que c'est lors de cet épisode que la tête d'Henri IV a été séparée du corps. Les restes comme ceux des autres rois seront déposés dans une fosse commune, avant d'être récupérés lors de la Restauration, en 1817 et remis en place dans la crypte.
Pendant ce temps, la tête entame un parcours pour le moins étonnant. On suppose que les descendants d'Alexandre Lenoir, auteur présumé du vol de la tête et grand collectionneur de reliques, l'ont conservé jusqu'au début du XXème siècle. La tête réapparaît à l'hôtel Drouot en 1919, lors d'une vente aux enchères. En la voyant, Joseph Bourdais, un brocanteur de Montmartre, a une intuition fulgurante. Alors que toute l'assistance se moque de cette relique, il patiente. Le prix de vente est fixé à 500 francs. Personne n'en veut. Il murmure "trois francs". Adjugé. C'est à ce prix, royal, qu'il devient le nouveau propriétaire de la tête momifiée. A l'époque, personne ne croit qu'il s'agit de la tête du Vert Galant.
Pendant toute sa vie, il va tenter de convaincre le public de l'authenticité de la tête. Il parcourt les musées, collectionne les photos, compile les comparaisons anatomiques... Il mourra moqué, doutant de sa propre découverte.
En 2008, Stéphane Gabet et Pierre Belet retrouvent la trace de cette tête dans le pavillon d'un retraité de 84 ans qui la gardait en secret depuis 1955. Ils la confient à Philippe Charlier, qui constitue une équipe de spécialistes. En 2011, leur étude sur le crâne conclut, in fine, à son authenticité. Une cicatrice sur les lèvres, un grain de beauté sur le nez, une correspondance parfaite du crâne avec le masque mortuaire du roi, une oreille percée, une signature au plomb partagée avec d'autres reliques du monarque... La liste est longue.
Mais dans les semaines qui suivent la publication de l'étude, la polémique enfle. Plusieurs auteurs mettent en doute l'origine de la tête. Pour eux, l'absence de traces d'embaumement spécifiques aux rois de France, pose problème. Leur argument: Henri IV n'a pas le crâne scié, comme c'était le cas pour la plupart des rois de France. Jusqu'à la découverte d'un élément décisif.
L'ADN parle
Après plusieurs tentatives infructueuses, Philippe Charlier et ses équipiers sont allés chercher un peu d'ADN au fond de la gorge, près des cordes vocales, là où les tissus sont plus préservés (voir photo ci-dessous). Les prélèvements précédents avaient échoué, à cause notamment de la pollution des tissus par le plomb. Sans doute celui du cercueil.
Une fois l'échantillon prélevé, les scientifiques l'ont à leurs confrères de l'Institut de biologie de l'évolution à Barcelone. En 2011, ces derniers avaient identifié l'ADN de Louis XVI à partir d'un mouchoir trempé dans le sang du roi au pied de la guillotine. Mouchoir pieusement conservé pendant plus de deux siècles dans une famille de l'aristocratie italienne.
L'idée était de comparer les deux ADN.
Le verdict est sans appel: la tête et le sang proviennent bien de deux personnes de la même lignée. Autrement dit: les échantillons prélevés proviennent bien de deux membres de la même famille, séparés par sept générations. Les mêmes marqueurs ont été trouvés sur le chromosome Y, donc transmis par les hommes. Une découverte qui valide le fait que la tête est bien celle d'Henri IV.
Au passage, cela confirme aussi que Louis XIII est bien le père de Louis XIV...
Prochain objet d'étude de l'équipe de Philippe Charlier: des fragments du cœur de Richard Ier d'Angleterre, dit justement "Cœur de Lion". Le roi Plantagenêt, grand croisé devant l'éternel, était mort en France, tué d'un trait d'arbalète.
Quant aux chercheurs espagnols, ils vont tenter de dresser le génome complet de Louis XVI pour en tirer des informations sur la famille royale, la consanguinité ou la susceptibilité à certaines maladies. Rappelons que Juan Carlos, le roi d'Espagne, est un descendant des Bourbons.
Pour suivre toute l'aventure sur la tête d'Henri IV, Philippe Charlier et Stéphane Gabet s'apprêtent à publier Henri IV, l'énigme du roi sans tête, aux éditions Vuibert. Sortie le 22 février.