C'est le début d'après-midi et je reçois en consultation une patiente, d'une cinquantaine d'années. Elle n'est jamais venue au cabinet. En l'interrogeant, je comprends qu'elle n'a pas vu de médecin depuis longtemps, car elle n'a pas la Sécurité sociale ; elle n'a pas non plus l'Aide Médicale d'État (AME) (elle l'avait, mais à cause de problèmes personnels, elle n'a pas pu fournir à temps les papiers nécessaires pour faire un renouvellement de son AME).
« Qu'est-ce qui vous amène madame ?
-Voilà hier soir, vers 22h, j'ai senti ma bouche qui partait vers la gauche » ; et depuis ce matin, j'ai l'impression que ma jambe gauche est lourde quand je marche, et que mon bras gauche a moins de force qu'avant aussi ».
Intérieurement, je comprends que cela semble sérieux : elle présente les symptômes d'un Accident Vasculaire Cérébral (AVC).
Pour compléter son historique, je lui demande si elle a des antécédents familiaux :
« Est qu'il y a eu des crises cardiaques dans votre famille proche ?
-Non, je ne crois pas.
-Et des AVC ?
- Oui, mon père est mort d'un AVC, quand il avait 50 ans ».
J'enchaine sur ses antécédents personnels :
« Avez-vous des problèmes de santé ? Des maladies pour lesquelles vous prenez de médicaments ? »
-Oui, j'ai la tension, trop haute, vous savez.
-Et vous prenez un médicament pour la soigner ?
-Non, je n'en prends plus depuis un an, parce que comme je n'ai plus la sécurité sociale et que je n'ai pas d'argent, je ne peux pas les payer ».
Je l'examine alors : cela confirme mon diagnostic d'AVC, elle présente un examen clinique en concordance.
Je lui explique alors la situation : je vais appeler le SAMU pour qu'elle soit transportée en urgence à l'hôpital, car elle présente tous les signes d'un AVC.
Outre le fait que les larmes lui montent très rapidement aux yeux, devant la peur qu'on peut imaginer qu'elle ait devant le diagnostic d'AVC, je lui demande surtout :
« Mais pourquoi n'avez-vous pas appelé les secours directement hier soir à 22h, lorsque vous avez senti votre bouche partir sur le côté ?
-Comme je n'ai pas la Sécurité sociale, je pensais que les secours ne viendraient pas me prendre ; et je n'aurais pas pu payer ».
Le choc d'entendre ses dernières paroles. Penser que certaines personnes ne font pas appel aux secours dans des situations d'urgence, parce qu'ils pensent qu'ils ne seront pas pris en charge, faute de sécurité sociale.
Heureusement que ce n'est pas la réalité ...
J'espère que les personnes qui imaginent que le système de soins français est ainsi fait, sont peu nombreuses...