En ce moment, on parle beaucoup du fameux "burn-out" (épuisement) des médecins. Certains ont manifesté hier devant le ministère de la Santé à Paris pour alerter sur leurs conditions de travail.
Je vais vous décrire une de mes semaines, qui, si elles se répétaient toutes ainsi pendant des dizaines d'années pourraient, en effet, me mettre à plat !
Arrivée tous les matins 7h30 dans le service. Visite de nos patients avant le petit déjeuner entre médecins (sympa). Puis commence la journée de bloc opératoire. Les blocs, c'est souvent intéressant et se passent dans une ambiance cordiale. Mais c'est aussi tenir des valves (lourdes) dans des positions incongrues pendant plusieurs heures d'affilée (jusqu'à 10-12 !!), debout, sans manger et sans boire. Il arrive même, pire que tout, que ces blocs soient l'occasion de se faire traiter de tous les noms d'oiseaux par son chef...
Entre deux blocs, c'est la course. Retourner signer les papiers des patients, re-négocier pour la énième fois le scanner de Madame Y auprès des radiologues, remplacer au pied levé mon co-interne de consultation, avec 1h de retard (toute la salle d'attente tire la tronche, et c'est normal), car lui même a du aller voir des patients aux urgences, refaxer pour la dixième fois de la semaine le bon de radio de Monsieur X que la secrétaire ne retrouve plus ( "Ah vous l'aviez faxé après 16h? Oui ben c'est normal qu' on l'ai perdu."), préparer les staffs du soir, prendre RDV chez le médecin pour soi (Ah non ça, tant pis, ça attendra le mois prochain, 6 mois, 1 an, bref ça fait 2 ans que je n'ai pas pris le temps de faire la prise de sang que l'on ma prescrite).
Il est 13h30, je vais peut être aller déjeuner. Et non ! Le patient est endormi en salle de bloc. Alors on y retourne, je mangerai plus tard, pendant la réunion de service ce soir ( " T'es sûr? " me demande mon chef. " Ca ne se fait pas de manger devant tout le monde. " Certes…mais j'ai juste besoin de me nourrir de temps en temps, voyez-vous.)
20h, la journée n'est pas fini puisque je suis d'astreinte. Un de mes patients va tout à coup très mal. En l'espace de 20 minutes il passe de l'état " fatigué mais causant " à l'arret cardiaque tout simplement. L'équipe de réanimateurs arrive. Il me pose tout un tas de questions (et c'est normal) pour comprendre ce qu'il se passe. En même temps que j'y réponds s'installe un énorme mal-être en moi : " Tout ça est-il de ma faute? Ai je tué mon patient ? ". Au même moment, sa famille arrive. Il s'agit d'aller expliquer la terrible nouvelle...Mais ouf, le patient récupère.
Pas le temps de s'attarder, les blocs continuent. Je terminerai ma nuit vers 4h du matin pour reprendre ma journée...à 7h30, jusqu'au soir, après avoir refait en boucle dans ma tête le cas de mon patient en réanimation, bien que les analyses aient prouvés que je n'y étais pour rien.
Le lendemain, rebelotte, je suis à nouveau d'astreinte. Nouvelle soirée de bloc, je rentre épuisée chez moi vers 1h du matin et m'endors immédiatement. Le matin, en me réveillant à 6h, horreur malheur, 3 appels en absence de l'hopital. Je n'ai pas entendu mon téléphone ! C'est la première fois que cela m'arrive ! Déconfite, j'appelle dans le service et tombe sur l'infirmière qui a essayé de me joindre, qui a son tour me tombe dessus. En pratique il n'y avait rien de dramatique et surtout je ne suis pas la seule médecin disponible, puisque, la nuit, sur place, il y a les réanimateurs, urgentistes et anesthésistes en cas de pépin. Néanmoins, elle est sans pitié : " Tu n'es qu'une irresponsable, tu as peut être un métier fatigant mais tu l'as choisi ! "
Alors oui, j'ai choisi de faire médecine et ça me plait toujours autant, car j'ai eu la chance de souvent travailler dans une ambiances très sympa. Mais non, à 18 ans, lorsqu'on commence ces études, on ne sait pas ce qui nous attend ! La fameuse première année n'est que le sommet immergé de l'iceberg. On ne sait pas qu'en plus de soigner les gens, et d'en porter toute la responsabilité, on sera tour à tour, secrétaire, assistante sociale, psychologue, brancardière...