Mariés au Canada, Serge et Pierre attendent la reconnaissance de leur union par la France

(DR)

Je rencontre Serge et Pierre dans un café de Paris. Serge s'est cassé la jambe récemment, alors Pierre est aux petits soins. Il s'assure que la jambe de son mari est maintenue droite sur une chaise, il lui apporte son café, lui demande s'il est bien installé, s'il a besoin de quelque chose... L'un est blond aux yeux bleus, l'autre brun aux yeux marron. Tout au long de notre conversation, ils s'échangent des regards complices, tendres.

Serge et Pierre n'ont pas attendu que la France autorise les mariages pour les couples de même sexe, ils ont traversé l'Atlantique pour se marier au Canada en avril 2010. Avec émotion et pudeur, ils me racontent leur histoire. Les deux hommes se rencontrent en 2004 sur internet. Tous les deux ont eu leur "vie d'avant". Serge, 45 ans, est le père de deux filles (16 et 14 ans), nées de son précédent mariage, "avant que je ne découvre mon homosexualité", dit-il timidement. Malgré le divorce, Serge garde de bonnes relations avec son ex-femme. Ils se partagent la garde de leurs filles. Agé de 53 ans, Pierre a, lui, eu une longue relation avec un homme. Ensemble, ils ont élevé un enfant né grâce à une mère porteuse en Angleterre. Aujourd'hui, leur fils a 18 ans.

"Un acte d'amour"

Au début de leur relation, Pierre demande Serge en mariage "sur le ton de la boutade, car c'était impossible". L'idée va cheminer dans l'esprit des amoureux, et c'est Serge qui fera la demande solennellement en 2009, prenant de court son compagnon. "J'ai d'abord été surpris, et puis on s'est dit 'allons-y'". Commencent alors les démarches. Pourquoi le Canada ? Après des recherches sur internet, Pierre a constaté que c'était le seul pays où ils pouvaient se marier sans avoir besoin d'être citoyens, ni résidents. Après plusieurs mois de démarches, les voilà prêts à se dire "oui" à Toronto. "Ce mariage, ce n'est pas du militantisme mais un acte d'amour, précise Serge. Comme les hétéros, on veut se protéger et protéger notre couple."

Nœuds papillons, costumes queue-de-pie, chapeaux haut-de-forme et alliances "en or avec deux diamants", Pierre et Serge se marient à la mairie de Toronto, accompagnés de leurs deux amis témoins. "Le plus drôle, c'est que c'est un prêtre qui nous a mariés à la mairie. Là-bas, ils ont une licence pour marier. Il s'est contenté de lire les textes officiels", expliquent, amusés, les deux mariés. Le soir, ils font la fête dans un restaurant de Toronto. "Nous avions prévenu le patron, il a été très gentil et tout le restaurant s'est mêlé à la soirée." Ils me parlent avec nostalgie de ce jour et gardent en mémoire "les moments intenses et les gens si chaleureux". "Tout le monde nous a félicités, même l'administration canadienne. Et au restaurant, nous avons bien sûr eu deux petits bonhommes sur la pièce montée !", s'amusent-ils.

"Faux mariage"

Serge est prof de physique-chimie en classe préparatoire dans un établissement privé, jésuite, de la banlieue parisienne. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, son mariage a été très bien accepté par ses collègues, qui lui ont envoyé de nombreux courriers de félicitations. Serge a même bénéficié de congés, "comme tous les salariés qui se marient". Pierre, directeur financier à Paris, a lui aussi eu quatre jours de congés, mais l'accueil de ses collègues a été plus "mitigé". "J'ai eu quelques réflexions sur mon 'faux mariage'", dit-il.

Mais les deux maris ne veulent pas "se contenter d'un symbole". "On veut être protégés, comme tous les époux", dit Pierre. Les mariés ont entamé des démarches pour que la France reconnaisse leur union. Fin 2010, le couple a demandé la transcription de son mariage sur les registres de l'état-civil consulaire français. Une demande refusée. Serge et Pierre assignent alors l'Etat français en 2011 devant le tribunal de grande instance de Nantes. Ils lui demandent de transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Ils estiment que le refus de la France de transcrire l'acte de mariage est discriminatoire. Au terme d'une longue procédure, le tribunal refuse de transmettre la QPC à la Cour de cassation au début de l'année 2012. Prêts à aller devant la Cour européenne des droits de l'Homme, Serge et Pierre ont toutefois attendu les résultats de l'élection présidentielle car "l'un des deux candidats a promis le mariage pour tous", dit malicieusement Pierre.

De fait, le projet de loi du gouvernement ouvrant le mariage aux couples de même sexe, qui vient d'être examiné par l'Assemblée nationale, prévoit de reconnaître les mariages entre deux Français célébrés à l'étranger. Un soulagement pour le couple.  "L'Etat reconnaîtra officiellement notre amour", se réjouit Pierre. "Cette reconnaissance sociale est aussi très importante pour faire changer les regards", ajoute Serge. "A l'école, mes deux filles évitent de dire que leur père est marié à un homme parce qu'elles ont peur des jugements ou de l'exclusion, confie le papa. Cette loi changera les choses."